Miyazaki, l’élémentaliste
Ecologiste et animiste, Hayao Miyazaki a consacré sa carrière entière à faire de la nature une puissance à part entière de ses histoires. Fondée sur les quatre éléments la constituant (l’air, la terre, le feu, l’eau), elle sert de vecteur aux fables, aux intrigues et à la poésie du maitre de l’animation japonaise. Si l’air est encore au cœur de son dernier film Le vent se lève, il est possible de relier sa carrière entière à une fascination pour le ciel, comme le décrypte très justement Erwan Desbois à travers les images d’avions conçus pour ses films.
Il est aussi possible de voir deux tendances dans son approche des éléments. Une partie de ses films se concentre exclusivement sur l’un d’entres eux. Mon Voisin Totoro est une œuvre purement tellurique quant Kiki la petite sorcière ou Nausicaä se tournent entièrement vers l’air. Mais, comme devenu maitre alchimiste, Miyazaki a décidé de faire communier les éléments entre eux, avec toutes les formules possibles. Panel des combinaisons :
La terre et l’air
Le château volant de Laputa, extrait de Le Château dans le ciel
Dans Le Château dans le ciel, fable onirique et cruelle, la terre et le ciel sont intimement liés, dans les faits comme dans les gestes. Le film commence dans un avion. La jeune Sheeta est pourchassée par deux groupes de personnes qui en veulent à son pendentif. Alors qu’elle choit du vaisseau volant où elle était retenue captive, ce pendentif amortit sa chute en la faisant léviter comme par magie.
Pazu, un jeune mineur, récupère Sheeta en suspension. Au plus profond des mines, les deux jeunes gens découvrent que la pierre magique vient d’une île céleste appelée Laputa. Cette alliance des cieux avec la Terre se retrouve également dans la structure de l’ile volante, directement inspirée de la Tour de Babel peinte chez Bruegel. Une tour qui, dans la Bible, symbolise la tentative des terriens de s’élever au niveau de Dieu. Mais dans l’Ancien Testament comme chez Miyazaki, cet éden ne peut se concrétiser. Trop corrompu, l’Homme retourne à la Terre, contraint de renoncer à son rêve aérien. Reste l’image persistante d’un bloc de roche dans le ciel.
La terre et le feu
Un autre château (auquel il faudrait ajouter celui de Cagliostro) évoque la réunion de deux éléments primaires. Avec Le Château Ambulant, c’est une habitation magique qui se déplace autour de la Terre. Ce maléfice vient du pouvoir d’un magicien, Hauru, homme-oiseau donc homme céleste, qui part en guerre et trouve refuge dans sa maison magique. Et comment rend-il sa demeure mouvante ? Par la grâce d’un petit démon de feu, Calcifer. A l’instar d’une locomotive à charbon, le feu sert de force motrice. Ce Calcifer devient à la fois le protecteur des lieux et la créature rigolote du film. Les flammes sont également très présentes dans les images de désolation de la guerre. Le feu comme élément de cohésion ou de destruction : se résume là toute l’ambivalence de la philosophie animiste. L’admiration et la crainte de la nature s’y mêlent jusqu’à la confusion.
La terre et l’eau
A priori, Princesse Mononoke est un film entièrement tellurique, marqué par des loups, des sangliers, une forge et des esprits de la forêt. A ceci près que le havre de paix, paradis forestier inspiré de l’ile de Yakushima, trouve en son sein une étendue d’eau pure. La forêt se nourrit évidemment d’eau et sa verdure doit tout à ses pluies journalières. C’est même là que le héros recouvre ses forces et que l’esprit de la forêt se cache. La rencontre entre San et le prince se fait au bord d’une rivière sauvage, où un corps malade est repêché par le prince et où Mononoke panse la plaie de la louve. Le courant de la rivière est aussi une protection pour le cœur de la forêt. Mère nourricière et barrière de protection, l’eau donne à Princesse Mononoke sa dimension sauvage et onirique.
L’eau et le feu
Parmi l’immense univers du Voyage de Chihiro, un lieu cristallise l’attention. Un domaine de bains publics concentre l’essentiel de l’intrigue et des personnages. Pour Chihiro, la découverte passe d’abord par la chaufferie. Le feu donne à l’eau des bains son utilité. Les deux éléments les plus opposés s’avèrent complémentaires. Le rouge flamme et le gris-bleu humide cohabitent dans les choix de couleurs des dessins. Textuellement, Chihiro passe l’épreuve du feu avant de plonger dans le grand bain. C’est en lavant un corps qu’elle purifie un esprit, elle nettoie un bain souillé par la crasse en l’inondant d’eau bien chaude. Et si, comme toujours, les trajets dans les airs sont présents, c’est une fois encore une vaste étendue d’eau qui sert de décor au dénouement final.
L’eau et l’air
Ponyo sur la falaise concentre son intrigue autour de la mer dans une relecture de la Petite Sirène. Les couleurs sont pastelles, une myriade de poissons et autres crustacés en tous genres voguent. Lorsque le poisson Ponyo se transforme en humaine, elle déclenche un tsunami. Se greffe dessus une tempête de vent, attribuée dans les médias à un typhon. L’eau et l’air font bloc pour rapprocher Ponyo de Sosuke, le petit garçon qu’elle aime.
Ce sont les pouvoirs magiques du poisson qui déclenchent cette catastrophe climatique. Au milieu, les humains plient l’échine. Comme le père de Sosuke, bien obligé de rester au large sur son bateau. Tous sont respectueux des éléments. Le Japon s’est construit sur la peur du séisme, du tsunami, du volcan ou du typhon. Avec Ponyo, Miyazaki montre aussi la sérénité des populations face à ce fatalisme. « On a tous un destin » dit la mère de Sosuke.
L’air et le feu
Le vent se lève a pour élément déclencheur la terre, quand le séisme de 1923 ravage Kanto. Jiro, l’homme qui ne rêve que d’avions dans le ciel, est ramené à la brutalité triviale du réel. Le séisme déclenche nombre d’incendies. Ces flammes se propagent comme un cauchemar, bien aidées par le vent qui souffle.
Le vent, cet allié si cruel, ce composant essentiel à l’existence du feu, devient à la fois la bénédiction et le fardeau de Jiro. Les avions qu’il construit pourfendent les cieux, son esprit volète comme les précédents héros de Miyazaki. Mais surtout, c’est lors d’un coup de vent un peu violent que le jeune homme va retrouver la femme de sa vie. L’air peut soigner, par sa pureté, par sa fraicheur. Mais il agite aussi la tête de Jiro comme une maladie. Son obsession à fabriquer le meilleur avion possible va le ramener vers les flammes. Voilà un génie qui, dans son entêtement, sert des desseins diaboliques. Comme dans la mythologie, un don est compensé par un handicap : pour Jiro, c’est un aveuglement, un autisme d’artiste. Le « Zero » qu’il conçoit est utilisé par les kamikazes japonais de la Seconde Guerre Mondiale. Dans une des dernières scènes, Jiro ère au milieu d’épaves d’avions rougeâtres. Un décor de désolation qui se retrouve balayé par une dernière envolée lyrique en forme d’adieu.