HTRK – Psychic 9-5 Club
Sour Times
Impossible de ne pas être fasciné par l’histoire de HTRK, groupe Australien passant d’une musique quasi-normale à une longue chute désincarnée en 3 albums, du sexe à la dépression en seulement quelques titres. Le premier album du trio était forcément une belle chose, mais je n’aurai peut être pas continué de creuser sans les avoir recroisé par hasard : le premier vrai choc que j’ai eu avec ce groupe, c’est en ouvrant un Noise Magazine en 2011. Outre une interview mortuaire, le désormais duo expliquant le processus de création du deuxième disque suite au suicide du membre fondateur, c’est la photo de l’article montrant un HTRK lessivé, au bout du rouleau, qui m’a foutu une baffe. Une photo lugubre, où semble se réconforter le duo restant, transpirants, anorexiques, quasi morts-vivants. Tension sexuelle et dépression flagrante, ce cliché ultime, que je n’arrive même pas à retrouver sur Google image, représente ce qui se peut se faire de mieux pour une photo promo : te pousser à acheter un disque sans même l’écouter. Et ce Work (Work, Work) était bien plus habité, lent et sexuel que le précédant. Un LP incroyable (une chronique avortée d’ailleurs), une mélasse électronique qui te donnait l’impression de revivre mille fois la mélancolie post-coitale, entre sperme et larmes. Le sexe et la débauche léthargique pour oublier les morts.
Alors forcément, avec tout ça, on pouvait se demander si le groupe allait avoir la force de rempiler pour un troisième disque, cette fois composé à deux exclusivement. Et si Psychic 9-5 Club est bien là, il semble avoir été fait en bout de course, en boitant, du maquillage dégoulinant sur la gueule, le mental écrasé par la solitude.
Car tout est réduit au minimum dans ce disque. Sur Work (Work, Work), déjà austère, on avait encore des rythmes ronds, lourds, massifs. Quelques murs de guitares implacables. Un chant assuré, suintant la cyprine. Ici, quasiment plus rien de tout ça. Tout est en apparence réduit, circonscrit, écrasé. La musique du groupe suintait le stupre, mais désormais, il goutte à peine.
HTRK nous faisait visiter les rues bardées de néons, noyées dans le sexe sale, sas urbain pour backrooms cradingues. Sur Psychic 9-5 Club, on avance, groggy, dans les rues grises du matin, la clope au bec et les regrets cernées sous les yeux. Dub en cristal, voix quasi atone, mélodie quasiment absente, Give It Up ouvre les hostilités et fait comprendre en deux minutes que les allergiques aux musiques lentes, fantomatiques et dépressives peuvent directement aller se prendre. C’est tellement minimaliste et froid que l’on a l’impression d’écouter un Incense & Black Light de Rod Modell, avec les élucubrations d’une demoiselle camée en bonus. Car les deux disques partagent cette même sensation de marcher dans une mégalopole morte à 5 heures du matin, lors d’une nuit en fin de vie, mélangeant échos drogués et bruits d’une ville qui s’éveille.
Ces sorties de club où l’on a passé une soirée à se démonter la tronche et baiser dans les chiottes pour oublier des problèmes qui reviennent avec violence dès que l’on pose un pied dans la rue, retour à la réalité déformé par l’alcool et opiacés. Tout le disque est comme ça, n’étant qu’un rappel violent de ce que l’on a tenté de fuir, avant d’abandonner et finir par pendant des mois à marcher au radar, en se disant qu’à un moment “on finira bien par moins y penser”.
Oh, il y a bien quelques rayons de lumières dans ce disque, mais ces derniers ne seront présent que lors de montées finales, de légers soupirs cristallins en fin de morceau, entrebâillements plutôt qu’ouvertures réelles. Soul Sleep en fait parti, longue complainte désincarnée qui va graduellement accueillir quelques synthés sublimes, à tordre le cœur, pour les rares qui auront le courage de tendre l’oreille. C’est cette conclusion seule qui illuminera la première moitié du disque, ce qui est bien chiche. Et ne vous laissez pas avoir par un morceau comme Feels Like Love, aux apparats presque joyeux, alors que ce morceau est peut être l’un des plus anxiogène du disque, boucle espiègle tournant sur elle même ad vitam eternam, à peine réveillée par quelques expirations flippantes. Faire la fête, peut être, mais vidé de toute énergie, à bouger comme un putain de robot sans âme.
Et il y a le trio de fin, longue chute sans fond, dans le gris. Pas le noir hein, le gris, froid, métallique, sans chaleur ou rébellion. Love Is Distraction, complainte aux synthés paraboliques, habitée de quelques parasites et cris non identifiés, qui s’arrête d’un coup, après 7 minutes d’hypnose. Chinatown Style, l’un des morceaux les plus cafardeux et minimaliste du disque, qui va très légèrement faire passer le soleil en fin de route, pour la deuxième éclaircie du LP. Pas de quoi faire fondre la glace pour autant. La seule vraie ouverture du disque, la seule touche d’espoir, c’est The Body You Deserve, qui aurait presque pu se glisser sur Work (Work Work), grâce à cette voix beaucoup plus présente, des rythmes enfin appuyés (toute proportion gardée), une basse puant le cul et ce coté noise un peu plus marqué, tirant enfin l’album de cette léthargie morbide dans lequel il était engoncé.
Ce n’est pas souvent qu’un groupe mute autant vers quelque chose d’aussi froid, d’aussi désincarné. Un album qui va rebuter pas mal de fans de HTRK. Un disque qui va également rebuter pas mal de néophytes voulant découvrir le groupe via ce disque. Car si Psychic 9-5 Club semble être plus policé et facile à écouter que de s’ébattre dans les draps sales du précédant, il est pourtant bien moins accueillant, jamais accrocheur, quasiment impossible à saisir, trip-hop de fin du monde. On pense au revirement de situation d’un Portishead qui pondait sans prévenir un cauchemardesque deuxième album… ou mieux, un 100th Windows de Massive Attack frigide et infréquentable. Mais même 100th Windows sonne comme du Avicii à coté de ce nouveau HTRK, aux rythmes anémiques.
Il y a pourtant de très belles choses sur ce disque (Blue Sunshine, Soul Sleep sont parfaites). Elles sont juste difficile à déflorer, elles requièrent une patience de tous les instants, et surtout un état d’esprit, un “mood” qui ne peut être que sombre et neurasthénique. Un album à écouter les bras ballants, pour nous conforter dans l’idée qu’abandonner était bien la meilleure chose à faire. Penser aux disparus, mais sans même les célébrer. Juste attendre comme un con que la douleur s’attenue, de nuits blanches en distractions vides de sens.
HTRK ne balance même pas un album qui pleure ses morts, et continue tant bien que mal son chemin. Et comme bien des cœurs, Psychic 9-5 Club est un disque vivant. Mais cassé, brisé, mal en point.