On va éviter tout de suite les clichés éculés sur le Portugal. Paulo Furtado est bien portugais, oui. Mais quand il se pointe sur scène à la tête de son groupe Wraygunn ou en solo total sous le pseudonyme de The Legendary Tigerman, il ressemble plutôt à un gars venu d’un patelin paumé du delta du Mississippi. Du genre qui a trainé du côté de croisements déserts, une guitare à la main, et qui y aurait fait des “rencontres”.
The Legendary Tigerman, c’est donc Paulo Furtado en mode one-man band. À ses pieds, une caisse claire, une grosse caisse et quelques percus ; entre ses mains, une guitare vintage, Gretsch le plus souvent, en liaison directe avec un écho à bande. Lunettes Aviator sur le nez, il susurre ou ahane des histoires d’amour, de sexe, d’envies. Ses chansons ont le parfum sulfureux du stupre et des draps froissés par les ébats amoureux. Mais sans jamais perdre un soupçon de classe.
True, son dernier disque – son sixième en une douzaine d’années – poursuit sur cette lancée. Les bases de chaque morceau sont toujours enregistrées dans les conditions du live, reproductibles en concert. Mais sur cet album, bien plus que sur les précédents, les morceaux présentent des arrangements plus élaborés. Sur Femina, son précédent disque (2009), chaque titre était chanté en duo avec une invitée ; sur True, plusieurs morceaux se voient enrichis de chœurs (Dance Craze), de cuivres (Gone), de cordes (Wild Beast, Love Ride), ou d’orgue (I’m On The Run, Green Onions). Cela donne un disque plus complexe, moins rentre-dedans que Fuck Christmas, I Got The Blues (2003) ou Masquerade (2006), même si la filiation est évidente. L’homme-tigre s’en explique dans le documentaire sur le DVD qui accompagne True et qui raconte la genèse du disque : « J’ai commencé à sentir que j’avais besoin d’autre chose. Après tout, quand je fais un disque, ce n’est pas pareil qu’un concert. Certains morceaux n’atteignaient pas leur plein potentiel, ils leur manquaient quelque chose, quelques arrangements. Ce que ce disque m’a enseigné, c’est que je ne devais pas être l’otage de ce concept d’homme-orchestre, jouant de tout en même temps. »
True est aussi un disque plus sombre que les précédents. Des chansons sur le doute amoureux (Do Come Home et Gone, qui ouvrent l’album) ou sur les errances personnelles (la sublime I’m On The Run, en duo avec l’adorable Rita Redshoes, l’inquiétant final Is My Body Dead ? et ses voix répétant inlassablement la même phrase dans dix langues différentes) côtoient les habituels titres plus enlevés et les obligatoires reprises : ce coup-ci ce sont Green Onions de Booker T & the MGs et Twenty Flight Rock d’Eddie Cochran qui sont accommodés façon Tigerman.
Ce côté sombre du disque, Paulo Furtado l’attribue à l’impact de la crise au Portugal. « Pas de perspectives, une certaine idée du no future. C’est mon disque le plus lourd mais en même temps, il a ce côté rock’n’roll et cette énergie qui permet de garder la tête froide quand tout s’écroule autour de soi. » Mais tout n’est pas perdu. Comme il le chante dans Rainy Nights, une nuit pluvieuse, l’être aimé à ses côtés, il suffit d’un sourire et d’un souffle pour oublier tous les soucis.