1) The Zombies – “Butcher’s Tale (Western Front 1914)” (Thierry Chatain)
Extrait de “Odessey & Oracle” – 1968 – Complainte
Quelque peu déconnecté de l’actualité immédiate, je n’aurais sans doute pas pensé à extraire ce titre atypique du chef-d’œuvre de pop psychédélique des Zombies sans l’écoute quotidienne sur France Info des chroniques de Bertrand Dicale évoquant les chansons de la Grande Guerre. Loin des couleurs de bonbon anglais du reste de l’album, “A Butcher’s Tale” raconte sobrement les boucheries des tranchées à hauteur de tommy, la voix étranglée et un peu maladroite de Chris White (qui n’était pas le chanteur attitré du groupe) n’étant soutenue que par un harmonium cliquetant et quelques sinistres effets sonores. L’effet est d’autant plus glaçant que la mélodie est sublime.
2) Frédéric Mercier – “Spirit” (Christophe Gauthier)
Extrait de “Pacific” – 1978 – Electropop
C’est par hasard que je suis tombé durant l’été sur la compilation Cosmic Machine, regroupant vingt titres français bien chargés en synthés vintage. Certains m’ont ramené en enfance (genre le générique de Temps X ou Magic Fly de Space), mais quand les premières notes de Spirit de Frédéric Mercier ont retenti, il s’est passé un truc. Nappes d’ARP 2600 et de Moog sur une batterie métronomique, ambiance rétrofuturiste, ce titre est une merveille. Mercier, à la fois Cerrone et Jean-Michel Jarre du pauvre, a principalement écrit des génériques et des habillages sonores ; il figure notamment sur un disque sur les thèmes de l’industrie et des chantiers, que je serais curieux d’écouter…
3) Divine Comedy – “Lady Of A Certain Age” (Isabelle Chelley)
Extrait de “Victory For The Comic Muse” – 2006 – Pop
L’album sur lequel figure “Lady Of A Certain Age” n’a jamais déserté mon iPod depuis sa sortie. De là à en déduire qu’il m’est indispensable, il n’y a qu’un pas, que je franchis en piétinant au passage les orteils de ceux qui jugent Neil Hannon (monsieur Divine Comedy) trop verbeux ou chichiteux. Il ne connaît peut-être pas le minimalisme, mais il fait avec une grâce, une verve et un détachement blasé seulement égalés par Jarvis Cocker. Et je ne vais pas m’étendre sur ses talents de parolier, d’arrangeur et de compositeur, cette chanson s’en charge à ma place.
4) Lewis – “Cool night in Paris” (Catnatt)
Extrait de “L’amour” – 1983 – Folk mélancolique
Plus j’écoute cette chanson, plus j’en suis amoureuse ; simple, mélancolique, cool, une voix de velours, elle a rythmé mon été. J’aimerais tant danser dans les bras d’un homme en l’écoutant. Cette chanson me donne envie de clichés, allez, rêvons un peu, allez, sur les quais le long de la Seine, une danse presqu’au ralenti (comme quoi, il doit me rester quelques grammes de romantisme). En plus l’histoire était belle, au mois de juillet Lewis avait disparu, “a Sixto Story”, on ne retrouverait probablement jamais le beau blond et sa muse. Las, au mois d’août le Guardian lui a mis la main dessus. Exit le mythe, place à la réalité : Lewis, de son vrai nom Randall Wulff, travaille toujours dans la musique, mais n’est absolument pas intéressé par cette réédition. Du coup, la maison de disque ne repressera pas “L’amour”. S’il me reste quelques grammes de romantisme, notre époque en manque cruellement, vous ne trouvez pas ?
5) Okkervil River – “A stone” (Thomas Messias)
Extrait de “Black sheep boy” – 2005 – Indie rock
Dans l’un des albums préférés de toute mon existence, il y a ce morceau qui exprime la complexité de l’amour, du sentiment amoureux et de son expression, et également le fait que tout ne soit pas prévisible ou quantifiable. Il y a des coups de cœur (coup au cœur ?) contre lesquels on ne peut rien et qu’il faut — si possible — accepter avec sagesse. Et Will Sheff exprime ça tellement bien. « And I think that I know the bitter dismay / Of a lover who brought fresh bouquets every day / When she turned him away to remember some knave / Who once gave just one rose, one day, years ago. »
6) Squarepusher – “A Journey to Reedham (7AM mix)” (Nathan)
Extrait de “Big Loada” – 2014 – Squarepusher avant que ça tourne mal
Après avoir entubé des milliers de fans avec Caustic Window, Richard D. James aka Aphex Twin lance le plan de marketing bulldozer pour un nouvel album. Si l’album devrait être à la hauteur du talent du monsieur, cet arrière-goût de malhonnêteté est assez dérangeant. J’ai comme l’impression qu’Aphex va nous ressortir des fonds de tiroir, les dépoussiérer et les jeter dans un vinyle ultra collector et super cher. Alors pour garder de l’espoir, je me replonge dans les débuts de l’IDM, mes premiers amours électroniques, et dans ce monumental Big Loada de Squarepusher. Ce voyage vers Reedham, un sombre village dans le conté de Norfolk, sent la rosée et les paysages qui défilent à la fenêtre du train à 7 heures du matin. Beats et beauté s’articulent parfaitement sur les nappes de synthés. Ah! Tom Jenkinson a vraiment mal tourné depuis. Mais au moins, j’ai l’impression qu’il est resté honnête, lui.
7) Kill The Thrill – “Blood Money” (Anthony)
Extrait de “Dig” – 1993 – Noisy à obédience indus
La gorge passée au papier de verre, nul ne sait si, aujourd’hui, Nicolas Dick, chanteur/hurleur de la formation marseillaise de Kill The Thrill, est encore capable d’aligner une note aiguë (on serait assez curieux de l’entendre dire “Aïoli”, histoire de vérifier si l’accent du Sud est toujours chantant… dans le cas présent, c’est peu probable). A l’époque où l’indus, le hardcore, la noisy et autres spécialités américaines trouvaient quelques bons représentants en France, le trio Kill The Thrill se plaçait en tête des groupes les plus saisissants et les plus intenses. Un secret trop bien gardé, dont on retrouve une dernière trace en 2005 (l’album “Tellurique”, très recommandé). En 1993, “Blood Money” est une immense claque sonique qu’on rêverait de se prendre en live encore aujourd’hui.
8) Kanye West – “Blood on the Leaves” (Alexandre Mathis)
Extrait de “Yeezus” – 2013 – Hip-Hop
Il y a environ un an, quand Kanye West a sorti son Yeezus, j’abhorrais ce disque inécoutable, foutraque. Et puis, il y a quelques semaines, au hasard d’une réécoute de politesse, l’évidence me saisit : effectivement, Yeezus est un chef-d’oeuvre. En un mois, j’ai même décidé qu’il était un des plus grands albums de la décennie. “Blood on the leaves”, prouesse de près de 6 minutes, achevait de me convaincre. Le sample de “Strange Fruit” de Nina Simone retrouvait son entêtante langueur. La rose trouve ici ses épines.
9) Eyehategod – “Agitation! Propaganda!” (Benjamin Fogel)
Extrait de “Eyehategod” – 2014 – Sludge
Il y a quatorze ans, en 2000, Eyehategod publiait “Confederacy of Ruined Lives”, un album dont personne n’espérait déjà plus la sortie suite aux disputes internes au groupe et à la quantité de sideprojects dans lesquels ses membres s’étaient impliqués (Outlaw Order principalement, mais aussi, pour le guitariste Jimmy Bower, Down, puis Crowbar à la batterie). Autant dire alors qu’après la succession de catastrophes qui a poursuivi le groupe tout au long de la dernière décennie (l’ouragan Katrina qui a détruit les maisons de tous les membres ; la violence et la criminalité qui en découla ; l’emprisonnement du chanteur Mike Williams pour possession de drogues, sans qu’il puisse ni payer sa caution ni prévenir sa famille et amis de son emprisonnement), personne ne fut surpris que Eyehategod ait laché l’affaire. Et pourtant, aujourd’hui, en 2014, le groupe de NOLA est bien de retour avec un album puissant, sec et carré, qui porte son nom. Même le décès du batteur Joey LaCaze n’aura pas eu raison du besoin de reformer le plus grand groupe de sludge du monde. Je me souviens alors de leur présence dans un épisode de Treme, la série de David Simon, où ils étaient filmés sur scène. On savait déjà que le groupe était à nouveau sur pied, mais on n’imaginait pas encore combien son retour serait pertinent.
10) Marie-Flore – “Number them” (Arbobo)
Extrait de “By the dozen” – 2014 – Songwriter
“Number them”, nous met au défi Marie-Flore. Mais on ne saura pas compter ni les retournements de cette splendide ouverture d’album, ni les fois qu’on a écouté ce tube pop qui trempe ses orteils dans le highlife. On croit que le morceau atterrit, il ne faisait que reprendre de l’élan. “Why don’t you love me now?” C’est vrai ça, pourquoi pas… Sur ce on vous quitte, on retourne danser.
11) Objekt – Ganzfeld (Dat’)
Extrait de “Hypnagogia” – 2014 – CodéIDM
Sans prévenir, Aphex Twin vient de réveiller bien des cœurs endormis avec l’annonce de son nouvel album. L’IDM et autres joyeusetés fracturées sont plus mémoires qu’actualité dans mon palpitant, et si l’on attend notre dose de Syro(p) avec impatience, il y a en parallèle de sacrées belles sorties pour se faire violenter le cerveau avec grâce. Objekt s’avance avec un parfait morceau, aussi dansant que cristallin, aussi sec que mélancolique. Ca claque dans tous les sens, ça te chiale une putain de mélodie, club triste et équations putassières, hypnose tranquille, c’est beau.