Les Indomptées de Nathalie Bauer
Après Des garçons d’avenir en 2011, qui retraçait le parcours de son grand-père dans les tranchées de la guerre de 14, Nathalie Bauer aborde les archives de sa famille du côté des femmes avec Les indomptées. Elle y suit Noélie, Julienne et Gabrielle, trois vieilles femmes voulant à tout prix préserver le patrimoine de leur famille. Elles sont rejointes à la ferme par leur nièce Zoé, une jeune femme perdue et dépressive. La conjoncture oblige Noélie à se pencher sur leur histoire à toutes afin d’écrire un roman qui permettra enfin de les remettre à flot.
Les indomptées a ceci d’honnête qu’il ne cache pas son obsession pour le passé, le vingtième siècle en particulier. Au travers de ses personnages, de son style, de la nostalgie malsaine qui règle dans chaque coin de phrase et même au détour de la bibliographie de son auteure. Chaque épisode de l’histoire de la famille a une teinte sepia, le parfum de la poussière et de petites taches de moisissures et d’oxydation.
Bien sûr, le parcours de Noélie en particulier n’est pas inintéressant. Féministe de la première heure, auteure d’une publication à succès, fêtarde à Paris et amoureuse, cette femme libre raconte une histoire qui mériterait un livre à elle seule. Mais les quelques pages qui lui sont consacrées sont ensevelies sous des bluettes romantiques entre une fille de bonne famille et un travailleur de ferme, des critiques de femmes de tête, des portraits clichés d’hommes rendus muets par les horreurs de la première guerre. Des pages et des pages d’un récit inconsistant teinté de bourgeoisie rurale de la belle époque. Un Autant en emporte le vent sans souffle et sans passion.
Ces indomptées, ces rebelles dont Nathalie Bauer dresse le portrait, ne le sont que selon des critères vieillots et surannés. Il n’y a qu’à voir comment réagissent les vieilles femmes, et assez clairement l’auteure, à l’unique relation sexuelle de Zoé, personnage présenté en 4ème de couverture comme « un brin nymphomane ». Il faudra préciser à l’auteure comme à l’éditeur que la nymphomanie, appelée aussi hypersexualité, est un problème psychologique grave et pas un clin d’œil destiné à attirer le potentiel lecteur. Car au bout du compte, sur 494 pages, Zoé aura tout juste eu une relation sexuelle un peu minable.
Les femmes dont on se laisse quand même prendre à lire le parcours sont des précurseuses, des audacieuses mais jamais des femmes modernes. Et quoi qu’elles fassent, aussi loin qu’elles s’éloignent (jusqu’en Argentine sur un coup de cœur pour Julienne), elles reviennent à la terre de la ferme, à la sacro-sainte famille qui est la source même de leur oppression. Ce n’est pas tant la société et l’époque qui les éprouvent que les traditions et les non dits, le jugement sans appel des femmes et des hommes de la famille. Finalement c’est quand ils sont tous morts, ou presque, qu’elles respirent et se révèlent avec leurs défauts, leurs qualités et la valeur de leurs expériences.
Les indomptées sent la naphtaline : le passé ne nous fait pas vibrer, le présent ne donne pas plus d’espoir. Aussi désincarné que les visages des photos anciennes que l’auteure a exhumées et qu’elle sème au gré de son récit, le livre ne réduit jamais la distance avec ce passé pourtant pas si lointain. Il est trop policé pour prendre corps. Et jamais rébellion n’a parue aussi molle et triste.
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