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En 2002, Weezer publiait Maladroit, un quatrième album qui allait marquer la fin d’une croyance qui avait perduré huit ans durant, celle que le groupe de Rivers Cuomo incarnait une sorte d’idéal pop, empli de chansons à la fois rebelles, adolescentes, sincères et sensées – Weezer, bien plus que la vague skate punk portée par Green Day, avait su répondre à la question de l’après Nirvana, et, à la force de son songwriting, réussi à devenir un groupe capital sans rien inventer. Mais avec « Maladroit », tout cela se fissurait déjà, et l’ennui commençait à prendre le pas sur l’enthousiasme spontané et non réfléchi.  Avec Make Believe, dont la platitude des compositions laissait transparaître un groupe éteint, Weezer avait alors entamé une chute dont on croyait ne jamais voir la fin. Les titres semblaient y avoir été écrits à la va-vite, avec un engagement moindre, comme si, persuadé d’être désormais une valeur sûre, le groupe pensait que toutes les portes s’ouvriraient dorénavant devant lui. Et alors, pendant des années, tout alla de mal en pis, Weezer passant du statut de groupe culte à celui sur lequel on se lasse même de faire des blagues, un groupe capable d’écrire des paroles comme « Timbaland knows the way to reach the top of the charts ; Maybe if I work with him I can perfect the art ». Cette soif de conquête mena Weezer à publier Hurley en 2010, un disque où il en faisait des tonnes pour nous convaincre que s’il avait échoué à être une référence commerciale à la Pharrell Williams, il jouait a minima dans la même cour que Coldplay et U2 (« Trainwecks »). La dernière partie de « Unspoken » était à ce titre éloquente, l’anecdotique ballade – flûtes et violons compris – finissant inévitablement par se transformer en un hymne dégoulinant.

Plus d’une décennie de totale absence de tenue artistique

Plus d’une décennie de totale absence de tenue artistique ! Ce qui est incroyable tout au long de cette période qui finit aujourd’hui avec Everything Will Be Alright in the End, c’est qu’à chaque fois que le groupe aura eu une décision  à prendre, il aura toujours pris la mauvaise, celle qu’on pourrait toujours le plus facilement lui reprocher : les ridicules incursions hip hop ; le that’s right de « Troublemaker » ; les ouh ouh de « Run Away » ; la boîte à rythme de « Smart Girls » ; l’influence orientale sur « Love Is The Answer » ; le solo de guitare de« Turn Me Round »…

Plusieurs hypothèses s’offrent alors à  nous. Première hypothèse : Rivers Cuemo – toujours plus ambitieux qu’il n’en a l’air – souhaitait prouver qu’il pouvait sortir du carcan pop punk et exprimer son talent mélodique au sein d’une pop radiophonique se nourrissant de tous les courants, bouffant à tous les râteliers, et capable de briller sous toutes les coutures (du club intimiste à la musique de stade). Weezer voulait devenir le Queen des années 2000, un groupe qui n’a peur de rien et sur qui le kitsh glisse sans laisser de traces. Les échecs ne firent que nourrir son égo, et, tout au long de la dernière décennie, il s’agit pour lui de prouver qu’il avait raison et de démontrer à ceux qui moquaient les choix artistiques de Weezer qu’in fine, c’était bien eux qui étaient dans le vrai, et que leur pop putassière deviendrait universelle. En tout cas, c’est comme ça que j’interprète le texte de « Pork and beans » : «  I’ll eat my candy, With the pork and beans, Excuse my manners, If I make a scene, I ain’t gonna wear, The clothes that you like ». Deuxième hypothèse, Rivers Cuomo visait l’auto-destruction, l’annihilation totale de cette figure culte, de cet emblème de l’adolescence dans lequel tant de jeunes se reconnaissaient. Décidé à détruire l’icône qu’il était devenu, il voulait affirmer son côté le plus carriériste et s’afficher comme un homme puissant qui peut jouer la musique qu’il veut sans avoir de comptes à rendre à l’adolescent qu’il était. Troisième hypothèse – probablement la plus probable – le fameux talent mélodique de Cuomo a besoin d’un cadre pour s’épanouir, et, libéré de toute pression, le mauvais goût – intrinsèque au talent de son auteur, comme la part sombre d’un songwriting parfois lumineux – prenait le dessus.

Aucune raison de jeter la pierre à Weezer

En tout cas, quelle que soit l’hypothèse retenue, celle-ci mènera le groupe à choisir les pires orientations et à tomber chaque fois un peu plus bas dans l’anecdotique, le sirupeux et l’inconséquent (cf  « Can’t stop partying » ou « Miss Sweeney »). Pourtant, au-delà du fait que ces disques étaient purement inécoutables dans leur intégralité, il n’y aucune raison de jeter la pierre à Weezer. Tout ce que le groupe a fait, il l’a fait en suivant son instinct, tandis que toutes les chansons dans lesquelles il s’est fourvoyé ont été écrites avec les tripes, sans arrières pensées. Weezer n’a jamais publié une chanson en sachant pertinemment qu’elle était nulle, avec en seule ligne de mire le succès. Non ils ont toujours été persuadés sur le moment qu’ils écrivaient de bons titres. Car ce qu’on ne peut pas enlever à Weezer, c’est sa sincérité. Rivers Cuomo n’a jamais voulu jouer à Lady Gaga pour une question financière, il n’a jamais voulu se tourner en ridicule pour vendre plus de disques, il l’a fait parce qu’à un instant donné, il voulait s’amuser, il voulait profiter de la vie comme elle venait. Il n’y a pas de second degré derrière la pochette de Raditude, pas de meta-concept permettant d’analyser Hurley et son hommage à Hugo Reyes sous un autre angle. La vérité, c’est que pour un groupe comme Weezer avec un public qui réclame à l’unisson la même chose – à savoir le retour au son du Blue Album –, il était bien plus courageux de suivre ses lubies envers et contre tous que de se contenter de recracher une recette toute faîte. A ce stade, on aurait même pu applaudir des deux mains, le sourire aux lèvres et la vanne facile, si le groupe avait fini par sortir Songs from the Black Hole, son opéra rock à la sauce SF. Franchement, tout cela n’est pas pire que tous ces groupes qui contrôlent leur création en fonction d’un plan de carrière sans cesse réindexé sur les attentes de leur public, n’usant du contrepied, que pour que l’on vante le contrepied en tant que tel.

Rivers Cuomo et Hugo Reyes

Rivers Cuomo et Hugo Reyes

Everything Will Be Alright in the End peut apparaître comme l’album de la facilité

Compte tenu de la capacité de Rivers Cuomo à écrire des pop songs enthousiasmantes et de l’impasse dans laquelle était le groupe, Everything Will Be Alright in the End peut apparaître comme l’album de la facilité, comme quelque chose qui colle bien moins avec la vision artistique de ses auteurs que les pires infamies du Red Album. Surtout, qu’alors que Weezer était l’archétype du groupe qui ne calculait rien, ce neuvième album studio aura tellement été annoncé comme celui du retour aux sources que cela finissait par ressembler à un simple repositionnement marketing ; un retour à la case départ en forme de choix de la facilité. En interview, comme s’ils ne savaient plus comment s’y prendre pour bien faire comprendre qu’ils ne donnaient pas dans la vaine promesse, les membres de Weezer multiplièrent les références au Blue Album et à Pinkerton, et soulignèrent aussi souvent que possible que la production avait à nouveau été confiée à Ric Ocasek, l’allié de leurs premières années.  La publication du single « Back To The Shack » avec ses lyrics en forme d’explication de texte enfonça un clou qui ne dépassait déjà pas de beaucoup : « Sorry guys I didn’t realize that I needed you so much. I thought I’d get a new audience, I forgot that disco sucks […] Take me back, back to the shack. Back to the strat with the lightning strap ». Pour un peu, on se croirait chez Korn avec ses incessants retours au son originel et ses albums nommés : Take a Look in the Mirror et Remember Who You Are. Bref tout cela sentait l’escroquerie de la repentance opportuniste, alors que Weezer était le groupe auquel on continuait de jeter une oreille par simple respect pour la sincérité de sa démarche.

Pour la première fois depuis longtemps Rivers Cuomo veut la même chose que nous

Pourtant, l’écoute de l’album dévoile au contraire un Weezer qui, comme toujours, fait exactement ce qu’il veut : c’est juste que pour la première fois depuis longtemps Rivers Cuomo veut la même chose que nous. Pas pour nous faire plaisir, mais parce que c’est ce qu’il ressent à l’instant t. On peut parler de nostalgie ou de réveil, mais une fois de plus on y entend surtout de la sincérité. Rivers Cuomo a 44 ans, et c’est un bon âge pour réaliser que la limite ce n’est pas seulement ses propres limités, et qu’il faut parfois se focaliser sur ce que l’on sait faire de mieux. Et pour ce qui est de faire ce que Weezer sait faire de mieux, ce Everything Will Be Alright in the End répond parfaitement à l’appel  avec une série imprévisible de grandes chansons pop, nerveuses, catchy et denses. Un des gros problèmes de Weezer était de vouloir absolument démontrer qu’il savait groover, qu’il pouvait hacher son son de guitare et inclure des rythmiques qui swinguent, le tout en annihilant systématiquement la continuité mélodique des titres. Et, aujourd’hui enfin, le groupe se refocalise sur des chansons qui coulent de source et dont les refrains sont imparables. Les textes traitent des grands amours de Cuomo : les femmes, les fans et les figures paternelles. Il ne cherche pas à être plus malin qu’il ne l’est. Il s’expose tout simplement. Sans pudeur. Sans peur du ridicule.

La différence avec tous ces groupes qui essayent de retrouver la saveur de leurs jeunes années ? La différence, c’est que Weezer ne fait pas dans l’autoparodie. Jamais l’écoute n’est altérée par un gimmick usé jusqu’à la corde. Jamais on ne se dit que tel titre est un copié-collé de tel autre. Weezer illustre un problème intrinsèque du rock : vaut-il mieux se challenger et ne jamais refaire le même disque, ou au contraire s’en tenir à ses talents et se contenter d’approfondir, encore et encore, son style ? Everything Will Be Alright in the End fait clairement pencher la balance du côté de la seconde solution (tout comme le nouveau Rancid d’ailleurs).

Dans le monde idéal des discographies tenues, Everything Will BE Allright In The End serait sorti juste après le Green Album. Certes l’album n’est pas dénué de défauts, mais les défauts, les sorties de route et les riffs manquant de finesse ont toujours fait partie du charme de Weezer. Même un titre phare comme « El Scrocho », placé dans un autre contexte, aurait pu sonner particulièrement lourd. En fait, ce qu’on attend de Weezer, c’est de la constance ; alors ses défauts sont de suite plus faciles à pardonner.

Cet album, largement inespéré, après plus de dix ans d’errance et six albums qui ne manqueront jamais à aucune discothèque, continue de m’interpeller. Mais les faits sont là : j’ai du mal à me passer de ce nouveau Weezer. Ce qui est assez drôle (ou triste, c’est selon), c’est que ce nouveau disque ne préfigure en rien d’un retour en bonne et due forme. Si Cuomo reste droit dans ses bottes, il est bien capable de refaire n’importe quoi dès le prochain album. Ça ne rendrait ce Everything Will BE Allright In The End que plus savoureux.