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C’est un film qui porte le nom d’une injonction. Tiens-toi droite. Comme « Fais-toi belle ». Des phrases si banales qu’elles sont devenues réflexes et qu’elles étouffent sous leur poids la poitrine des femmes dès la naissance depuis des générations. Le film leur dit « Respire ». Le film leur dit choisis ton chemin, et ne dévie pas de ta route pour de mauvaises raisons. C’est un film sur un sujet sérieux, mais qui le traite à hauteur des yeux, ceux de ses trois héroïnes, et ceux des figures adolescentes qui reproduisent les codes : les yeux durs, en colère, de Marina Foïs, qui a la rage de vaincre de celles qui sont mal nées et d’une origine trouble ; les yeux vides de Laura Smet, qui cherchent du sens et de l’affection alors qu’on lui a toujours fait comprendre que sa plastique appartenait aux autres ; les yeux rieurs puis tristes de Noémie Lvovsky, qui ne demande rien de plus que donner de l’amour, à son mari et ses enfants, mais qui doit se battre malgré elle pour assurer leur subsistance, au point de finir par en oublier l’essentiel.

Katia Lewkowicz ne sait rien tant que filmer les bandes, les familles, les salles à manger pleines de convives et les parties de basket improvisées dans les chaudes nuits d’été.

Katia Lewkowicz ne sait rien tant que filmer les bandes, les familles, les salles à manger pleines de convives et les parties de basket improvisées dans les chaudes nuits d’été. Son cinéma grouille de gens, de vie, de rires et d’étouffement. Avec tant de visages, Tiens-toi droite réussit l’exploit de prendre le temps de tous nous les faire aimer, de se poser devant tous pour qu’on les comprenne. Et alors qu’on pourrait croire que le film est simplement horizontal, il excelle aussi dans le parcours vertical du personnage de Marina Foïs. Dans une scène à la simplicité et à la justesse inouïe, Louise monte les escaliers de sa nouvelle entreprise pour la première fois et traverse les étages de la hiérarchie sociale : au rez-de-chaussée, les petites mains qui s’activent, puis les bureaux et les rires gras des hommes en costumes, et enfin l’exécutif et son silence morbide.

Il y a d’abord le propos, féministe et juste évidemment, caché sous une apparente légèreté, des traits d’humour mordants et glaçants, et une énergie folle. Et puis il y a la rencontre entre les trois protagonistes et la prise de conscience qui en découle. Et je ne parle pas là d’une belle amitié féminine. Mais bien de la façon évidente et subtile dont la rencontre de ces trois-là va provoquer une réaction en chaîne qui va bien au-delà de leurs simples destins. C’est un système tentaculaire. La mère sert d’exemple à ses cinq filles, la miss est une figure admirée, la cheffe d’équipe de création va avoir le pouvoir de mettre entre les mains de plusieurs générations un jouet qui va peut-être modifier à jamais la perception qu’elles pourront avoir de leur propre corps.

À ces trois femmes, on ne demande pas d’être des modèles : elles le sont malgré elles.

À ces trois femmes, on ne demande pas d’être des modèles : elles le sont malgré elles. On les laisse se tromper, choisir d’être dignes ou vicieuses, d’avoir des rêves de grande ou de basse portée. On les laisse être des femmes sans que notre regard de spectateur ne les juge. Il ne reste que l’empathie. Et c’est une souffrance de constater que loin de l’écran de cinéma, ce regard est plus difficile à poser. Même quand on est une femme qui regarde les autres femmes. Les injonctions, les mauvaises pensées, les critiques, les attaques sont autant véhiculées par des femmes que des hommes. Et si le film se clôt sur une scène de basket presque métaphorique où les femmes apprennent à jouer ensemble, il n’est pas toujours aisé de casser les codes et les convenances et de trouver sa place.

Cette scène sportive, comme l’intégralité du film, a le mérite d’aller au bout de son propos et de nous offrir une échappatoire cathartique des plus réussies. Sans arrondir les angles, Tiens-toi droite est un film féministe qui s’éloigne du cliché de l’agression pour proposer une réflexion. À commencer, simplement, par celle qui encourage les femmes à apprendre à vivre ensemble afin d’être plus fortes pour apprendre à vivre avec les hommes. Et ce n’est pas une mince affaire.