Le bon sens voudrait que le soleil soit toujours positif et que tout ce qui en découle comme la lumière soit signe d’espoir. En ces colonnes, Tomboy, le précédent album de Panda Bear était comparé à une savane africaine, or on sait à quel point la vie peut y être rude. La musique de Noah Lennox (seule personne à bord ou presque) n’a sans doute jamais été aussi ensoleillée, pourtant on peut discerner les épreuves qui l’ont marqué.
Son soleil, peut-être celui du Portugal où il s’est installé il y a dix ans, n’est donc pas celui des Beach Boys avec qui il partage un goût très prononcé de l’harmonie vocale. Les préoccupations dépassent en effet celles des affres existentielles du surf mais le sens de la mélodie qui touche juste est là sur Acid Wash. Le résultat est une pop acidulée, qui pétille en bouche, avec des parfums artificiels bien entendu, mais tout à fait réjouissants.
En photographie, la solarisation d’une émulsion est une inversion partielle ou totale des densités d’une image qui intervient après une très forte surexposition. On peut donc retrouver des tons clairs qui deviennent foncés ou l’inverse. Ce procédé pourrait être appliqué à sa musique. Il n’y a pas que la grisaille et la noirceur qui peuvent rendre compte de la mélancolie. On est dans une forme presque opposée à celle de Joy Division, mais comme disait Jacques Brel à propos des Marquises : “Et s’il n’y a pas d’hiver/Cela n’est pas l’été“. Il faut donc aborder ce soleil comme une composante immuable, et non comme une trouée dans la brume. Ces morceaux ne sont donc pas baignés d’une lumière de vacances mais altérés par le fait même de leur exposition.
Panda Bear Meets The Grim Reaper pourrait être littéralement traduit par Panda Bear rencontre la grande faucheuse. Tout comme le Down There d’Avey Tare (un de ses partenaires au sein d’Animal Collective) parlait de façon presque imperceptible de la lutte de sa sœur contre le cancer, on décèle entre les mots de Noah Lennox le décès de son père. Pour pouvoir mieux traiter d’un sujet pareil sur Tropic of Cancer, il s’éloigne encore un peu plus de la mélopée qui fait le sel de ses morceaux pour une écriture plus frontale. En clair, si le propos nous échappait souvent tant la voix était triturée, ce n’est plus toujours le cas. Et comme souvent, ce sont les morceaux qui bénéficient le plus de cette vibration qui sont les plus réussis, comme Come To Your Senses ou le percutant Mr Noah. J’avoue que personnellement, je le trouve moins touchant dans la pure rêverie (Lonely Wanderer).
Noah Lennox, aka Panda Bear.
Cette évolution déjà perceptible sur Tomboy se fait par touches. On retrouve en effet cet amour des voix qui rebondissent (Boys Latin), ces harmonies vocales. Finalement, cette musique assez compliquée à décrire, cette musique qui pourrait sembler intellectuelle s’adresse plus directement aux sens. Il dit s’être inspiré du hip-hop des années 90 ou des remixes “dub” d’albums connus pour trouver une pulsation à cet album. On peut aussi songer à la relecture dub de Protection de Massive Attack par Mad Professor (et intitulé No Protection) qui arrivait à réchauffer la froideur du collectif de Bristol. Cette coloration est ici directement dans l’écriture, et aucunement ajoutée comme un filtre a posteriori.
La frontière entre art figuratif et art abstrait est parfois floue et on sait qu’on peut retrouver des chefs-d’œuvre à cette frontière. Pensez à Monet ou Turner en peinture par exemple. On n’avait distingué jusque maintenant que peu d’écriture véritable chez Panda Bear mais la situation change progressivement sans que la forme ne se dénature. Il est en tout cas un de ceux (avec Bradford Cox de Deerhunter et Atlas Sounds notamment) qui poussent le plus loin le potentiel pop de cette musique.