Auréolé de son ours d’or à Berlin, le Taxi de Jafar Panahi (retitré Taxi Téhéran en France pour éviter la confusion avec la production bessonienne) a souvent été présenté par la critique comme un acte militant extrêmement courageux. Ce qui est vrai. Car Panahi est interdit par le régime iranien de filmer en dehors de chez lui et que, s’il se fait prendre en train de tourner, il risque une lourde peine de prison – voire pire. Et la prison, le cinéaste ne veut pas y retourner. « Tu n’as pas entendu une voix ?, demande-t-il à un de ses clients dans le film. […] Parfois j’entends la voix d’un de ceux qui m’interrogeait en prison. J’ai l’impression qu’il est là. » La psychose rôde.
Alors, forcément, quand on voit le cinéaste se mettre en scène en faux-chauffeur de taxi en train de déambuler dans Téhéran, on se dit qu’il s’agit d’un acte rebelle, d’un bon gros doigt d’honneur à ceux qui le censurent. Ce n’est pas la première fois que Panahi fait un film clandestin. Déjà en 2011, la légende dit que son long-métrage Ceci n’est pas un film arrivait clandestinement en France grâce à une clé USB cachée dans un gâteau. Réelle ou pas, cette anecdote façonne encore un peu plus le mythe d’un homme des caves, d’un rebelle au visage tout en rondeur qui voudrait faire exploser le système.
Une foi indéfectible
Sauf que Taxi Téhéran ne peut se résumer à ça. La mise en scène le prouve. Panahi se retrouve affublé d’un dispositif rudimentaire. Il pose une caméra à l’avant de son taxi (qui lui offre deux angles de caméra, mais aussi une possibilité d’axe de rotation à 360°) et une autre à l’arrière. Le film se retrouve par ailleurs agrémenté d’images prises par un appareil photo et d’autres provenant d’un téléphone portable. À l’intérieur de ces cadres très simples, Panahi distille de la vie, de l’humour, du débat et de la chaleur humaine. Chaque personnage qui monte dans son taxi porte en lui non pas un archétype de la société iranienne, mais une incarnation de vie avec ses contradictions. Dès le premier acte, un moralisateur pro-peine de mort et une institutrice débattent des condamnations à accorder aux voleurs. Plus tard, de vieilles dames acariâtres assomment Panahi de reproches car il ne roule pas assez vite. Pourtant, le cinéaste ira à la fin du film leur rendre un service précieux.
Tous ces personnages révèlent leur drôlerie, ou du moins une forme de légèreté ; car sympathique ou non, le cinéaste les aime tous. Il a un amour fou envers ses compatriotes. Il aime même ceux qui sont sûrement partisans de sa mise en demeure par le régime. Panahi pourrait essayer de fuir ; il ne le fait pas. Il croit en son pays. Ça se voit dans son film. Il croit à la force du débat, il croit à une possible confluence morale et culturelle. Il espère probablement que le régime va s’assouplir et s’ouvrir au monde.
Est-ce une naïveté dangereuse ou un acte de foi digne d’un sage ? Difficile à dire. Une chose est sure : Taxi Téhéran n’est pas tant un film rebelle qu’un film d’amour pour le peuple iranien.