Laszlo Nemes, Naomi Kawase : symboles malgré eux
C’était la journée des initiations. Le premier film du Hongrois Laszlo Nemes, Le Fils de Saul, se trouve en compétition officielle sans passage par la case Semaine de la Critique ou Un certain regard. L’histoire d’un Sonderkommando dans un camp de concentration, soit un prisonnier chargé d’encadrer les autres prisonniers. L’enjeu est de taille et moins anodin qu’il n’y parait : qu’est-ce qui justifie, en 2015, de sélectionner le film d’un inconnu total dans une petite sélection trustée par les gros noms du cinéma mondial ? Une « proposition de cinéma » ? Qui tranche avec le reste du troupeau, renouvelle les codes ? Il y a de ça dans Le Fils de Saul : le film adopte le parti pris de coller au plus près de son personnage principal durant 95 minutes, d’adopter son point de vue sans discontinuer pour rendre au mieux les dilemmes de ce déporté au statut particulier.
À l’image de White Dog de Kornel Mundruczo, autre film hongrois sélectionné l’an dernier à Un certain regard, le film est une idée, un concept. Et le problème est qu’il n’est que ça. Engoncé dans ses choix formels, crispé par son ambition auteurisante, Le fils de Saul est vain. Une longue litanie consciente d’elle-même, qui se scrute dans un miroir plutôt que de se mettre au service de ses personnages. Laszlo Nemes se gargarise de son geste et c’est ce qui est récompensé aujourd’hui, exposé à la pointe de la pyramide du cinéma mondial : le jeune impétueux, la nouvelle garde qui montre ses petits muscles et remplira à coup sûr quelques colonnes.
Dans le sens inverse, Naomi Kawase, grande habituée de la sélection principale, se retrouve en ouverture d’Un certain regard avec son nouveau film, An. Possible d’ergoter sur la valeur de cette compétition mais dans les faits, il s’agit bien d’une rétrogradation symbolique, à laquelle est également soumis Apichatpong Weerasethakul cette année. Le film est-il réellement bien en-dessous de ses précédents, systématiquement en lice pour la Palme d’Or ? Tout l’inverse : An est faussement mineur, tout en retenue, classique et doux. Son meilleur depuis Shara, il y a douze ans. En revanche, il est beaucoup plus traditionnel dans sa structure narrative que les précédents, et le style de Kawase est à l’avenant : moins d’envolées lyriques, de longs plans malickiens sur des ficus et autres réflexions sous-jacentes sur le passage du temps.
Kawase fait mine de rentrer dans le rang tout en livrant en réalité son film le plus puissant, pleinement maîtrisé, comme si elle était enfin sûre de sa force et arrivée à maturité. Le choix des sélectionneurs a le grand mérite de rebattre les cartes, de faire peut-être vaciller certains cinéastes habitués aux plus grands honneurs cannois. Il pourrait aussi avoir pour dommage collatéral de consacrer le règne du clinquant et des films qui n’aspirent qu’à briller, au détriment de ceux qui vibrent intensément, sans jamais le montrer.
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