Le Sud : libérés, délivrés ?
Prix de la mise en scène au festival de Cannes 1988. Présenté à Cannes Classics le 19 mai 2015 en version restaurée. Durée : 2h07.
C’est l’histoire d’une double libération. Celle de Floreal, libéré de prison un soir de 1983 après cinq années d’emprisonnement. Celle de son pays, aussi, fraîchement débarrassé d’une dictature meurtrière (pléonasme). Dans une Argentine allégorique que Fernando Solanas réduit à quelques rues et quelques maisons étriquées, c’est la première nuit de liberté de Floreal, et à travers elle la renaissance balbutiante de la nation argentine, que décrit Le Sud. Les doubles sens sont partout : Sur (le titre original du film) désigne le vieux café où tente de se réfugier le héros dès sa sortie de prison, mais aussi cette Amérique du Sud que Solanas avoir été pillée par l’Amérique du Nord. Le constat est amer et teinté de spleen : ce si beau continent n’a pas connu la destinée superbe qu’il aurait méritée, privée d’un avenir radieux par d’autres.
Pour Floreal, c’est aussi une histoire de dépossession et de doute qui l’empêche de profiter pleinement de ses premiers instants hors de l’univers carcéral. Non loin de là, une femme l’attend ; mais Floreal hésite à aller la rejoindre, lui qui ne sait plus comment mener sa vie, comme reprendre le cours de son existence après ces cinq années d’éternité. Le tango d’Astor Piazzolla, transcendé par la voix du chanteur Roberto Goyeneche, vient régulièrement donner un autre ton à sa détresse et à sa désorientation. Dans cette atmosphère volontairement fabriquée, quelque part entre Greenaway et Beineix, lumières bleutées et épaisses fumées viennent offrir un onirisme inquiet à cette oeuvre qui entend décrire à la fois la fin d’un cauchemar et la léthargie teintée d’angoisse qui suit le réveil. Récompensé par le prix de la mise en scène à Cannes en 1988, Le Sud aurait surtout mérité d’être récompensé pour si direction artistique : dans la réalisation comme dans l’écriture, Solanas pêche plus d’une fois par un excès d’abstraction qui rend le film hermétique alors qu’il aurait pu véhiculer beaucoup d’émotion.
Ce qui fait froid dans le dos, c’est le manque total d’incarnation de cette Argentine décrite par Solanas. Les rues sont jonchées de tracts et de journaux, et le vent qui semble souffler en permanence ne semble pas parvenir à les en nettoyer. Un tank gît au beau milieu d’une rue déserte, aussi déserte que les autres rues. Les symboles guerriers sont partout, abandonnés mais bien présents, tandis que les gens semblent cloîtrés, comme trop effrayés à l’idée de remettre le nez dehors et de respirer l’air de la liberté. C’est effrayant, la liberté. Lorsqu’on en a été trop longtemps privé, on ne sait plus comment la manipuler, quoi en faire. Et puis il y a les fantômes, à l’image de celui qui se fait appeler El Negro, le narrateur du film, qui narre depuis l’au-delà sa relation complexe avec Floreal ainsi que l’étouffant destin de celui-ci. La mort est omniprésente. Comme après une catastrophe nucléaire, le nuage sombre n’est pas près de de dissiper, de cesser de semer le mal en-dessous de lui.
Par sa façon de faire cohabiter passé, présent et futur au cœur d’un même plan, Pino Solanas interroge en outre la façon dont son pays doit se reconstruire. Aller de l’avant, chérir ses proches, ne pas oublier le devoir de mémoire : la reconquête par le peuple de sa propre dignité et la prise en matin de son existence passe par un travail à plusieurs niveaux. Le message peut sembler daté ; ce serait oublier qu’il nous arrive de l’année 1988, soit cinq années à peine après la fin de la dictature. Refusant le didactisme le cinéaste ne livre pas un petit manuel de résilience, ou alors un manuel volontairement plein de trous. Il nous invite à perpétuer la transmission orale, à manifester pour chasser les démons, à faire l’amour pour oublier un temps nos fantômes. Vingt-sept ans après, si le film a vieilli, le message n’a rien perdu de sa superbe.
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