Pour ses 10 ans, le MAC/Val entreprend une séries d’expositions.
Lieu discret du dehors mais aux belles proportions intérieures, le musée d’art contemporain de Vitry, à un jet de pierre des stations de métro et de RER, ne jouit pas de la fréquentation qu’il mérite. L’exposition Chercher le garçon, jusqu’au 30 août 2015, ne manque pas de qualité. Et la programmation autour de l’exposition est très riche, y compris en ateliers destinés au jeune public.
La force virile
D’emblée on est pris à partie par un décalage entre une revendication de la force brutale, les « panoplies » de boxeurs de Philippe Perrin, et un bête carton portant une inscription au marqueur, un simple déni de Theo Mercier : « la possession du monde n’est pas ma priorité ». Ce que John Stoltenberg appelerait, comme le titre de son fameux livre, « Refuser d’être un homme ». Belle entrée en matière. Perrin revient plus loin avec une splendeur, un énorme vitrail (The rose window), présentant deux pistolets aux antipodes des saints des églises.
Certains “incontournables” sont là (Mapplethorpe, Molinier), d’autres pas forcément (Pierre et Gilles, ou encore des films, le Blow job d’Andy Warhol, Flesh de Paul Morrisey…). Le lien entre certaines oeuvres et l’intitulé de l’exposition résiste parfois à l’intuition. Il faut bien connaître l’artiste, ou être dans l’esprit des commissaires, pour établir le lien. Ce n’est pas gênant puisque ces cas restent minoritaires (sur environ 100 artistes) et contribuent à la diversité présentée. On saura même gré à la sélection de ne pas verser dans un didactisme plat.
Même les fils rouges les plus évidents ne consistent pas à juxtaposer les oeuvres dans des salles dédiées, c’est tout au long du parcours qu’elles se répondent progressivement, le plus fréquemment autour du travestissement : Michel Journiac, Pierre Molinier, Robert Mapplethorpe (son autoportrait en drag de 1980), ou Emilio Lopez-Menchero (lorsqu’il “essaie d’être” Cindy Sherman).
Par quelques touches, les valeurs viriles sont interrogées ou mises en scène. C’est le cas dans la première salle, mais il faut ensuite attendre les trophées cabossés de Jean-Baptiste Ganne pour retrouver clairement un propos sur la compétition, les valeurs agonistiques. Dans une vidéo de Meiro Koizumi, un comédien puise de plus profondément en lui pour exprimer la déclaration d’un kamikaze annonçant son ultime départ.
Le passage du temps émousse les muscles saillant des Adonis. Nous voilà face aux failles de la virilité, ses faiblesses, ce qu’on cache souvent pour ne pas s’avouer vulnérable. Comme ce corps âgé, lourd, dans des postures pornographiques, du croate Tomislav Gotovac (Foxy mister). Ce corps là ne vend pas du rêve, il a du réel plein les mains. Il révèle ce qu’on masque d’ordinaire.
Réserves
On peut aussi exprimer une réserve. Les oeuvres se concentrent sur une poignée de thématiques : la réappropriation des classiques, et le travestissement, dominent l’exposition. On y joue souvent sur les apparences, mais la sexualité est très peu abordée, encore moins dans les frontières des genres. L’une des oeuvres qui travaille le plus la question est une des plus anciennes pièces présentées : des clichés de Pierre Molinié datant de 40 ans. On cite Robert Mapplethorpe, on cite Cindy Sherman, bref on cite beaucoup. Faut-il comprendre que la masculinité serait aujourd’hui un simple reflet d’un passé révolu ?
Une autre remarque brûle les lèvres : la photo et la vidéo monopolisent l’espace. Certes, pas la totalité, mais les oeuvres mixtes sont rares dans le parcours proposé, la peinture, le dessin, la sculpture, les installations restent portion congrue. Quel contraste avec l’exposition mitoyenne, l’accrochage “avec et sans peinture” des collections permanentes (du musée, du FNAC et des FRAC). Tobias Bernstrup est le plus hybride, il mêle musiques, performance de genre, performance scénique…
Échos féministes
La propriété de l’écho est de nous faire parvenir un son déjà vieux lorsqu’il nous atteint. Du point de vue théorique, c’est un peu le cas. Le livret de l’expo laisse un peu dubitatif à son tour. Il s’ouvre sur un longue citation de King kong theorie de Virginie Despentes (2006). Bonne idée que d’apporter le propos d’une femme, l’une des auteures féministes les plus fécondes de la période récente. D’ailleurs un tel choix peut surprendre un public peu féru de féminisme, en apprenant que c’est bien un homme qui a placé l’exposition sous ces auspices. Toutefois, l’extrait cité pointe l’absence de textes écrits par des hommes sur la masculinité depuis la fin du 20e siècle. En 2015, cette citation tombe un peu à plat, car le 21e siècle est très riche en travaux sur la masculinité, les “male studies” ont leurs revues, leurs encyclopédies, des colloques, des équipes de recherche. L’affaire est entendue depuis un moment en anglais, mais même en français les travaux sont en cours, et en 2014 un texte majeur a été traduit en français, Masculinités, de Raewyn Connell (paru en 1995 en version originale).
L’exposition n’en est pas mauvaise pour autant. Elle répond à des choix nets, qui la structurent, on ne peut que féliciter Frank Lamy de proposer un point de vue et ne pas noyer le propos dans une pseudo-exhausitivité. Elle est un peu sage peut-être, non pas que montrer des sexes soit encore une transgression en art en 2015 (on en voit plusieurs, d’ailleurs). Mais si l’on pense aux grincements de dents et malaises que provoquent une rétrospective de Tracey Emin, on vient à penser qu’il y avait matière à explorer plus fortement les frontières de la masculinité avec des hommes artistes qui s’en jouent et les transgressent. L’insaisissable Genesis P-Orridge aurait pu apporter une touche de trouble supplémentaire, mais pas avec l’oeuvre sélectionnée. Joël Hubot est celui qui apporte une des pièces les plus dérangeantes, Degas-dance. Il reproduit la statue de la petite ballerine qui fit scandale à l’époque, mais lui substitue… la tête de Degas.
Seul au monde?
Dans cette exposition, le garçon en question souvent une figure isolée, déconnectée du reste des hommes. Dans la vidéo de Meiro Koizumi, dans les photos de Denis Dailleux, on rappelle un statut de fils, mais il n’a qu’une mère, le père n’est pas dans le cadre.
Le couple est là comme métaphore, version hétéro dans les travestissements de Michel Journiac, quasi absent en version homosexuelle ou queer. Pas de fratrie, pas de rapport à ses propres enfants, presque pas de confrontation au groupe des hommes, ni comme pairs ni comme source de rejet. Est-ce plus difficile ? Est-ce inintéressant ? En tout cas nous n’aurons pas droit à cette confrontation.
Si l’on oublie les propres partis pris de votre serviteur, qu’on se rassure, il y a à voir et de quoi apprécier. « Chercher le garçon » est un parcours sur une cinquantaine d’années d’art contemporain. Un parcours plutôt occidental mais extrêmement varié, qui traverse Japon, Pologne, Finlande, république Tchèque, Espagne… et bien entendu beaucoup les USA, l’Angleterre. La France est là comme lieu de passage et de migration, plusieurs artistes nés à Gaza ou en Algérie (Fayçal Baghriche) y ont vécu une partie de leur formation. Dans le vaste panorama des masculinités, quelle part joue le kaléidoscope de l’ici-et-ailleurs? Et quelle serait la part du fantasme ? L’autre homme qui a un physique et une couleur de peau qui n’est pas la nôtre, la femme d’ailleurs… les différences ethniques sont un puissant moteur de fantasmes, assez peu utilisé dans l’exposition. Il est plus question de soi, d’un moi très individuel, ego, que du masculin en général ou de la masculinité de nos congénères. Les questions de « race » sont peu présentes dans l’exposition, comme quoi parfois l’université n’est pas à la traîne des artistes, loin s’en faut dans ce domaine.
Mais même une encyclopédie ne contient pas tout. Alors puisque vous savez ce que l’exposition ne contient pas, il ne vous reste plus qu’à aller découvrir ce qu’elle montre.
Le site de l’exposition
Le point de vue de Clémentine Gallot dans Libération
Un entretien avec Raewyn Connell sur les masculinités