Magic Mike XXL : tombent les masques
Sortie : 8 juillet 2015. Durée : 1h55min.
C’est un préjugé : j’avais automatiquement rangé Magic Mike XXL dans la catégorie plaisir coupable. Peut-être à cause du sujet. Peut-être à cause de la promesse de corps masculins dénudés ruisselants d’huile et d’autobronzant et d’une campagne de promotion focalisée sans retenue sur ces aspects les plus triviaux du film. Tout appelait au film pour woo-girls hystériques comme on organise encore dans les cinémas des soirées « spéciales filles » avec stands et animations chippendales pour la sortie de 50 nuances de Grey.
Je n’y suis donc pas allée dans le but de pousser des cris aigus avec la tribu des femmes cis hétérosexuelles mais bien en ayant prévu de ranger ma cinéphilie au placard. Et c’est finalement de ça dont j’ai le plus honte.
Oui, une lecture frontale de Magic Mike XXL est possible et les spectatrices amatrices de muscles saillants en auront pour leur argent. Mais c’est aussi un film dont je me suis demandé pendant toute la durée s’il était féministe ou pas (dans le sens où il semblait l’être… mais un film sur le strip tease ne peut pas être féministe, si ?). J’ai cherché le moindre détail, la moindre preuve d’une manipulation sordide. Magic Mike XXL pourrait-il être l’équivalent filmique de ces hosts japonais, ces hommes que l’on loue à prix d’or pour la soirée et dont le but est de vous faire sentir comme une princesse ?
Les hommes de la troupe ne sont pas des prédateurs. Si l’adrénaline et l’argent facile sont les principaux moteurs de la vocation, ils s’imaginent des pouvoirs de « guérisseurs », comme un contre-pied provisoire à ce que leur espèce propose aux femmes au quotidien. On les découvre également moins bêtes de sexe qu’en proie à de réelles questionnements sur les envies et leurs désirs. Et ces hommes qu’on veut réduire à l’état d’objets ont l’impudence de rêver à des carrières, de créateur-constructeur de meubles design à patron d’une entreprise de yaourt glacé. On ne parle pas ici de preuves de la fragilité sous la carapace de l’homme fort qui ferait craquer le cœur des femmes, mais bien d’êtres humains à part entière, qui découvrent eux-mêmes tout au long du film qu’ils se connaissent bien mal, occupés à se juger comme nous les avons jugés.
Plus que jamais dans Magic Mike XXL, le pouvoir est aux femmes. Autant à celles qui jettent des billets de 1 dollar sur les corps suintants qu’à celle qui tient le micro et offre le spectacle (Jada Pinkett Smith, royale) ou à celle qui donne les moyens financiers à la troupe de produire son dernier show (Andie McDowell, délicieuse en cinquantenaire divorcée). Il est dit dans le film qu’il y a trop de femmes à satisfaire et que toutes ne pourront pas en profiter. Mais celles qui sont mises en lumière le sont avec le respect qui leur est dû. Il est d’ailleurs appréciable de noter que dans ce film, les femmes restent habillées. Oui, y compris Amber Heard sur la plage. En fait, le film passe même avec succès le fameux test de Bechdel.
Fait remarquable, le choix du casting féminin (en particulier des femmes qui « profitent » du show) est fait de manière à ce que soient représentés toutes les femmes, avec une véritable richesse de corpulence (et dont on peut en déduire un discours « body positive ») et d’origines. Si les corps parfaits des « male entertainers » représentent les diktats de la beauté physique actuels, ce sont bien les femmes, dans toute leurs variétés qui sont mises en valeur.
Comme souligné par la blogueuse Almost Kael, le film est en fait un dialogue permanent entre les hommes et les femmes, là où le premier opus était plus composé en opposition. Le strip-tease est moins un spectacle où un sexe fait de l’autre un objet pour son propre plaisir, que la somme de frustrations désormais partagées. Il y a les mariages ratés, les couples qui ne durent pas, les non-dits dans la chambre à coucher, les complexes (y compris chez les membres de la troupe). Le film se compose en fait comme une invitation à demander plus du côté des femmes (car celles qui ne savent pas ce qu’elles veulent ou ne l’exigent pas sont condamnées à la frustration) et au dialogue du côté des hommes (un dialogue sincère et franc qui mène souvent à des scènes réellement touchantes). Ça et là, des détails à portée féministe sont disséminés, comme par exemple sur l’obligation de l’épilation (avec une phrase de Joe Manganiello à propos de la non obligation pour les femmes de suivre des standards que les hommes ne s’appliquent pas à eux-mêmes).
Cette suite de Magic Mike est aussi une invitation à tomber le masque, à brouiller les pistes, à explorer son corps et ses désirs, à se débarrasser des traditionnels et étouffants schémas de clichés de virilité et de féminité. Que ce soit pendant une compétition de voguing dans un show de drag queen, ou dans les mouvements de danse de Channing Tatum, la sexualité n’est jamais oubliée, mais les contours de celle-ci sont magnifiquement flous. Ces hommes ne doutent pas de ce qu’il sont et de ce qu’ils ont à offrir, et c’est là que réside leur véritable pouvoir de séduction. Parce qu’ils n’ont pas peur de jouer des codes masculins et féminins, hétéros ou gays et même queer.
Avec la disparition du personnage de Dallas, brillamment incarné dans le premier opus par Matthew McConaughey, le film prend une portée et un sens complètement différent. C’est un changement d’époque, et la scène où les costumes (et donc les numéros de pompiers/cowboys/marins… ) volent par la fenêtre du van en est la métaphore. Si l’on a longtemps cloisonné les rapports à une simple opposition homme-femme, Magic Mike XXL appelle à l’acceptation d’une nouvelle ère, où les sexes se subliment entre eux, et où chacun accepte la complexité et les désirs de l’autre dans le respect.