Faisons un petit test ensemble. Quel était le dernier disque que vous ayez si impatiemment attendu que vous êtes allé l’acheter le jour de sa sortie ? Et, après écoute, n’avez-vous pas eu l’impression d’avoir été prisonnier de la hype ? De vous être enflammé un peu trop vite pour un disque honnête, plutôt bon certes mais pas exceptionnel ? Je l’avoue, cela m’est arrivé il y a peu avec Inji, premier album de LA Priest sorti au début de l’été, précédé par une poignée de singles terriblement bien fichus et une réputation flatteuse. Mais malgré les écoutes répétées, il faut bien reconnaître qu’il faut, comme toujours, se méfier de la hype.
LA Priest : derrière ce nom de projet bizarre (prononcé laaah-prist) se cache le Britannique Sam Dust, de son vrai nom Samuel Eastgate, que l’on a connu comme guitariste et chanteur de Late Of The Pier, auteur en 2008 d’un unique album dance-punk qui avait bien plu outre-Manche, mais qui en avait laissé plus d’un sceptique ici. Après quelques singles supplémentaires, le groupe se volatilise en 2010. Eastgate ne donne plus de nouvelles pendant cinq ans, avant de réapparaître début 2015. Signé chez Domino, il dévoile, single après single, de nouvelles facettes de sa personnalité, avec une volonté évidente de jouer les originaux. Le tout est rassemblé dans un premier album au titre énigmatique, Inji, fruit d’expérimentations synthétiques durant ces cinq ans d’isolement pendant lesquels Sam Eastgate a multiplié les séjours au Groenland (pour, dit-il, « étudier l’influence des phénomènes électromagnétiques sur les sons enregistrés »). Le rock nerveux de Late Of The Pier cède ici la place à une synthpop parfois dansante et ensorcelante, souvent mélancolique et brinquebalante.
Pour être tout à fait honnête, je n’aurais jamais découvert LA Priest si je n’avais pas écouté Nova régulièrement depuis quelques mois. La station de radio s’est entichée du projet de Sam Eastgate, diffusant quasi-quotidiennement ses singles : d’abord le chaloupé et haut perché Oino, ensuite l’irrésistible Learning To Love, et ces jours-ci le sensuel Lady’s In Trouble With The Law. Le déclic s’est produit un soir de juin où LA Priest était programmé lors d’une Nuit Zébrée, soirée de concerts diffusés en direct sur l’antenne de la station. Alors que j’étais coincé au boulot après une journée de labeur folle et parsemée d’emmerdes, cette musique bizarre, dérangée et par moments familière s’est avérée être un soulagement, une lumière annonçant la fin d’un tunnel d’ennuis. C’était le 26 juin et les mecs de Nova n’ont cessé, ce soir-là, de vanter l’arrivée prochaine d’Inji à coups de superlatifs ; quatre jours plus tard, l’album était disponible, et c’était plus fort que moi, il fallait que je l’achète.
Visuellement, le disque pose déjà quelques bases, avant même d’avoir lancé la lecture de l’album. Un oscillo sur la pochette, un empilement de câbles et de modules de synthés ayant déjà connu plusieurs vies en ouvrant le digipack : le son serait résolument vintage et bidouillé. À l’intérieur, un livret petit format orné de peintures abstraites et de photos bizarres, ainsi qu’un dépliant reproduisant l’une de ces images en plus grand format. Intriguant… Il s’agit en fait de visuels utilisés pour un site web expérimental pour lequel Sam Eastgate a fourni la bande-son. On retrouve d’ailleurs, au dos de la pochette, un symbole utilisé sur ce site pour naviguer de page en page. Le jeu de piste s’annonce complexe. À l’écoute, Inji semble taillé dans le même bois. L’album démarre lentement. Occasion, somptueuse entrée en matière, sonne comme une démo oubliée de Prince période Sign O’ The Times : lente batterie métronomique, basse très ronde, synthé inquiétant, furieux solo de guitare trafiquée. Lady’s In Trouble With The Law, titre charnel, parle tout autant d’échapper aux forces de l’ordre que de l’impossibilité de s’engager dans une relation amoureuse durable (l’amour et la solitude, thèmes récurrents sur ce disque). Gene Washes With New Arm casse le rythme cotonneux du début, un instrumental aux sons angoissants mais qui laisse dubitatif. Eastgate lâche ensuite l’artillerie lourde. Oino est une perle synthpop, pièce montée de samples qui fait monter le volume très fort ; Party Zute/Learning To Love, titre bicéphale absolument dingue, commence par un assemblage cubiste de boucles biscornues, avant de verser dans une house bondissante et dansante que ne renierait pas Basement Jaxx (cette ligne de basse trampoline !), ou le Daft Punk des débuts (la fin du morceau est un hommage évident à Burnin’). Lorry Park calme à peine le jeu : ça démarre un peu comme Party Zute, avec un montage abstrait de courts samples (uniquement vocaux cette fois-ci), sur lesquels viennent se poser une batterie fougueuse et les mélodies déglinguées d’un synthé 80s.
Après cette salve de titres de haut niveau, la machine s’enraie et se met à ronronner sur les quatre derniers morceaux. Night Train pourrait être un hymne chillwave, mais il manque d’ambition et de passion. Fabby, avec sa mélodie à la basse et ses percussions qui s’entrechoquent, reste en tête mais tourne vite à vide. A Good Sign pourrait être majestueux avec son rythme lent et son solo de guitare noyé de reverb signé Connan Mockasin (avec qui Sam Eastgate a tourné il y a quelques années), mais le titre est abimé par des vocaux volontairement sur le fil du rasoir, par moments faux. Enfin, Mountain est si court (à peine deux minutes) qu’il donne l’impression de terminer l’album en queue de poisson. Laissant ainsi un sentiment appuyé de frustration, d’autant que le disque est court, tout juste 41 minutes.
Qu’on ne se méprenne pas : Inji n’est pas un mauvais album. Comme souvent avec les premiers disques sortis après plusieurs années de préparation, il part dans tous les sens ; faire appel à un producteur aurait certainement permis de canaliser ce flot d’idées, de mieux rythmer l’ensemble en modifiant un peu l’ordre des titres, et de donner une patine à des morceaux qui sonnent parfois trop comme des démos. Le projet LA Priest est fait d’originalité et de bizarreries, tant sonores que visuelles (cela se retrouve jusque dans les clips réalisés pour promouvoir les singles de l’album, et certains sont vraiment sans queue ni tête, comme celui d’Occasion), mais cela ne suffit pas à faire le grand disque tant promis. Il y a plusieurs morceaux qui, heureusement, frôlent la perfection et seront amenés à durer. C’est important.
PS : j’ai réécouté les 30 minutes du concert de LA Priest aux Nuits Zébrées, disponibles en streaming. Je devais être dans un état d’esprit vraiment particulier au moment de la diffusion, car Sam Eastgate n’était pas tellement en voix ce soir-là et c’est assez insupportable par moments. Mais il y a quelques variations musicales intéressantes. Les Parisiens pourront vérifier l’amélioration de ses prestations scéniques ce mardi 27 octobre au Café de la Danse, lors de la soirée inaugurale du Pitchfork Music Festival.