01. Bertrand Belin – L’ajournement (Henri Rouillier)
Extrait de “Cap Waller” – 2015 – Chanson française
Il y a dans cette chanson tout ce que j’aime chez Bertrand Belin. Une espèce de froide discrétion vis-à-vis des histoires qu’il raconte et qui vous oblige à tendre l’oreille pour démêler le vrai du faux. Ce que le texte dit vraiment et ce que vous croyez entendre. “Aucun lion de cirque ou lion de zoo, ne viendra lui nettoyer les os”. Cette chanson, c’est la fin de l’amour, la dissolution immédiate du couple dans le présent qui ronge déjà. Avec cet album, et comme à chaque fois, Bertrand Belin se rappelle à moi en imprimant cet étrange sentiment, cette si chère sensation qui dit qu’il fait parfois bon être triste. Ou en tout cas moins heureux, pour prendre le temps du recul et de la réflexion.
02. Jean-Louis Murat – Long John (Alexandre Mathis)
Extrait de “Babel” – 2014 – Chanson rock
L’appel du large de cette merveille de Jean-Louis Murat n’est pas qu’une bouffée d’air frais. Elle est, pour moi, la lumière grise-bleue vacillante de l’avenir. Parce que comment identifier dans son esprit ce qui n’existe pas encore – l’avenir donc ? Eh bien à travers ce souffle de navigateur, grâce à cette voix profonde et pourtant claire. L’Odyssée de Murat était depuis des mois ma boussole. Elle le restera dans ce qui s’annonce comme un tournant majeur de ma vie. “Je veux voir la mer, retrouver les saisons […] Quittons cet exil que me font les chansons.” Ok, mais je l’écoute une dernière fois. Histoire de retrouver l’étoile du Nord.
03. Ought – The Combo (Benjamin Fogel)
Extrait de Sun Coming Down – 2015 – Post punk vs indie rock
Ought ne se précipite pas. Le groupe canadien prend son temps pour développer un son personnel, toujours à la croisée du post punk et de l’indie rock, tout en restant très respectueux de ses ainés. Les mélodies, qui apparaissent au débotté, comme par hasard, font toujours mouche. Il y a de la violence et de la retenue, et c’est un album qui donne envie d’être à la fois fort et faible, un album parfait pour notre époque en somme.
04. Youth Lagoon – Highway Patrol Stun Gun (Marc Mineur)
Extrait de “Savage Hills Ballroom” – 2015 – Indie dépressif
C’est toujours un sentiment spécial de voir un artiste s’épanouir devant nous, presque en direct. Le premier album de Trevor Powers, seule personne aux commandes à l’époque de Youth Lagoon, on sentait le talent mais aussi une timidité qui transparaissait à travers ces délicats morceaux à hauteur d’adolescent. A l’instar de son contemporain Mike Hadreas (Perfume Genius), il a su sortir de sa plaisante chrysalide pour prendre son envol. On constate donc avec plaisir sur Savage Hills Ballroom qu’il n’a pas perdu en délicatesse ce qu’il a gagné en force accrocheuse. De la pop indépendante et légèrement dépressive comme on l’aime tous, non ?
05. Nathaniel Rateliff – Happy just to be (Esther Buitekant)
Extrait de “In memory of loss” – 2010 – Pop
Il y a quelques semaines une collègue m’a envoyé la vidéo d’un groupe qu’elle avait entendu lors du MaMa Festival à Paris. Je ne l’ai pas regardée tout de suite, vaguement sceptique et avec l’idée bien arrêtée que cela ne me plairait pas. Et, contre toute attente, j’ai été complètement séduite par cette soul retro bruyante et joyeuse, ce type barbu à la voix rauque et puissante. J’ai remonté le fil de sa discographie et suis tombée sur son album de 2010 “In memory of loss”. Radicalement différent de l’opus de 2015, ce disque tout en délicatesse mélancolique m’a bouleversée. Cette chanson là je l’ai beaucoup écouté depuis, j’ai eu envie de danser dessus très lentement avec l’homme que j’aime. Alors que je ne sais pas danser. Le piano, la voix de Nathaniel Rateliff, ces paroles qui s’imbriquent par magie. Et en fermant les yeux je vois notre voyage dans le Colorado l’été prochain. Ce chanteur que je ne connaissais pas il y a un mois aura une place de choix dans la playlist des centaines de kilomètres que l’on s’apprête à parcourir.
06. The Cure – Play for Today (Marc di Rosa)
Extrait de “Seventeen Seconds” – 1980 – New wave gothique
Deuxième morceau du deuxième album de The Cure, Play for Today évoque une relation amoureuse insatisfaisante, dans laquelle le créateur du groupe, Robert Smith, exprime sa lassitude. S’il éprouvait peut-être des difficultés dans sa vie sentimentale, il écrivait déjà d’excellentes chansons avec une facilité déconcertante. Doté d’un jeu de guitare et d’une ligne de basse dépouillés à l’extrême, Play for Today possède une instrumentation minimaliste, mais une atmosphère captivante et mystérieuse.
07. Jeanne Added – A War Is Coming (Isabelle Chelley)
Extrait de “Be Sensational” – 2015 – Rock lancinant
Un jour, j’essaierai de comprendre pourquoi j’aime autant les chansons lancinantes, voire à la limite du supportable comme la vibration d’une aiguille de tatoueur qui pique trop près d’un os. A War Is Coming appartient à cette catégorie de morceaux d’abord agaçants, puis, très vite, indispensables, à écouter en boucle pour pleinement jouir de son côté obsédant. Entre les paroles tristement réalistes qui pourraient résumer l’année écoulée débutée dans la violence et cet arrangement, mi-apocalyptique glamour, mi-cotonneux semblant tiré d’un cauchemar, la chanson a tout pour plaire. Ou agacer.
08. The Soft Moon – Far (Anthony)
Extrait de “Deeper” – 2015 – Post-punk martial
L’enfant caché de The Cure et Nine Inch Nails s’incarne dans Far : une basse gavée d’effets aquatiques (la bonne vieille recette Flanger/réverb’ et tout le toutim) encadrée par une rythmique électronique syncopée, conduisant le chant à piquer un sprint qui le fait monter les tours, au bord de l’asphyxie. La production archi-puissante, à ranger dans la famille “A Place to Bury Strangers”, classe immédiatement Far dans la catégorie des grands hymnes sombres et torturés. Petite claque, avec marque sur la joue…
09. Anushka – Kendrick (Christophe Gauthier)
Single – 2015 – House
Anushka, c’est un peu le syndrome Rita Mitsouko : un duo dance de Brighton, Max Wheeler à la production et Victoria Port au chant jazzy… mais pas d’Anushka dans l’équipe. Kendrick, référence évidente au rappeur de Compton, est leur dernière sortie en date, voix sucrée et filtrée sur fond de beats house classiques et de ponctuations de grosse basse. “It’s too hot outside” chante Victoria, et c’est vrai que ce morceau donne l’impression d’être au beau milieu d’une jungle. C’est efficace et ça va réchauffe bien l’automne.
10. Anna von Hausswolff – Deathbead (Thierry Chatain)
Extrait de “Ceremony” – 2013 – Incantation funèbre
C’est la saison où mes vieux démons gothiques réclament leur tribut. Et nul ne les comble mieux, ces dernières années, qu’Anna von Hausswolff. La Suédoise au nom prédestiné, obsédée par la mort et le mysticisme, s’installe aux grandes orgues – son instrument de prédilection – pour un hymne (au sens religieux) allant crescendo, transpercé par sa voix à fendre les rochers et faire fondre les glaciers. La B.O. idéale, cocktail idéal de grandiloquence, de recueillement et de transcendance, pour la fête païenne de Samain où s’ouvre l’autre monde, celui des défunts, des dieux et des esprits.
11. Jimi Tenor & UMO – Huumatun pako (Arbobo)
Extrait de “Mysterium magnum” – 2015 – Big band space jazz
En dehors d’un sens du groove chevillé au corps, Jimi Tenor est ce caméléon finlandais qui passe d’un genre musical à l’autre avec la plus totale décontraction. Bientôt une compilation de ses morceaux sous le titre “tranquille le chat” ? Mieux que ça, avec l’impeccable orchestre national de jazz finlandais (des vrais balaises, soit dit en passant), il concocte dans son nouvel album un pot pourri des styles de jazz adaptés au format big band depuis les années hard bop. Un peu de Count Basie, un peu de Sun Ra, de Gil Evans, un peu de Lalo Schifrin, et pour faire le compte une pincée de Miles Davis période Filles du Kilimandjaro/Bitches brew. C’est enjoué, malin, ça flatte nos pavillons et pourrait presque se prêter à un blind test des meilleurs morceaux pas encore composés. Le tout avec le “drive” d’un film des années 70 dont rien ne serait oublié, interludes, poursuite effrénée, et conclusion orgasmique. Vivement la suite, car un art des cuivres maîtrisé à ce point mérite la postérité.
12. Jah Wobble – Sacred (Julien Lafond-Laumond)
Extrait de Redux (Anthology 1978-2015) – 2015 – Rétrospective plurielle
Jah Wobble, né John Joseph Wardle, est avant tout connu pour avoir été le bassiste de Public Image Limited. Il est notamment celui qui a apporté cette inimitable touche dub, quasi-spirituelle, au deuxième groupe de John Lydon. Mais impossible de résumer Jah Wobble à son son simple apport pour PIL. C’est ce permet de comprendre Redux, une tentaculaire compilation multidisques de près de 100 titres, sortie cette année par Cherry Red Records. On y découvre Jah Wobble, sur près de 40 ans de carrières, naviguer entre easy listening et propositions expérimentales, entre reggae, funk, world music, dance et bien plus encore. Sacred, donc, avec son trip-hop futuriste, n’est pas plus représentatif de la carrière de Jah Wobble que n’importe quel titre de PIL, mais il permet de découvrir une autre facette méconnue de son auteur : celui du poète. Sacred est en effet la mise en musique par Jah Wobble d’un texte qu’il a lui même écrit et publié dans son recueil Odds & Sods & Epilogues. Le résultat est, je trouve, très convaincant.
13. Tracy Jordan – Werewolf Bar Mitzvah (RAC Mix) (Nathan)
Extrait de “30 Rock” – Spooky scary
Parce que je suis en train de regarder l’intégral de 30 Rock, de me délecter de la plume de Tina Fey et surtout de chaque apparition de Tracy Morgan sur l’écran, dans le rôle de Tracy Jordan. Et puis parce que c’est Halloween alors il faut bien une chanson sur les loups-garous quand même.
14. Grouplove – BoJack Horseman End Credits (Thomas Messias)
Extrait de la bande originale de la série “BoJack Horseman” – 2014 – Rock alternatif
Mon morceau favori du mois dure 43 secondes, mais je l’ai écouté au moins 25 fois, puisque c’est le nombre d’épisodes composant les deux saisons de BoJack Horseman, l’une des meilleures séries du moment. Hilarante et existentielle à la fois, elle me rappelle autant Charles Bukowski que Nicholas Stoller. C’est également un merveilleux réservoir musical, avec ce divin instrumental composé par Patrick Carney des Black Keys. Mais le générique de fin composé par Grouplove, et dont il n’existe pas de version longue, est celui qui ravit mon coeur. Malgré son extrême brièveté, il me touche par sa mélancolie guillerette, l’un de sentiments que je préfère au monde, en matière de musique comme au cinéma. Ou dans les séries, donc.