California Dreamin’ de Pénélope Bagieu : une Cass à part
Gallimard – 272 pages
La courte vie de Cass Elliot a été un roman, avec son lot d’anecdotes flamboyantes, de petits arrangements avec la réalité et un trait de légende urbaine pour boucler le tout. Et si parfois le mythe a éclipsé le talent, qu’on ne garde d’elle qu’une image floue – celle d’une sorte de Cas(s)tafiore faisant la fête avec le gratin de Laurel Canyon à la fin des sixties – il suffit de se replonger dans ses enregistrements avec les Mamas & Papas ou en solo pour succomber à sa voix. Le genre de timbre à la fois chaud et clair, puissant et mélodieux qui renvoie dans les cordes les trois-quarts des néo-divas et rend inoubliable une chansonnette aussi jolie que banale que “California Dreamin’”.
California Dreamin’ n’est pas une biographie exhaustive de la chanteuse. Pénélope Bagieu a choisi de se pencher sur des moments de l’enfance et des débuts de Cass, de s’attarder sur les personnages qui l’ont marquée ou façonnée et de peindre un portrait en finesse, sans explications/justifications ou psychologie facile de ses choix ou ses motivations. Ainsi, une case lui suffit pour expliquer l’origine de la boulimie. Rien à voir avec le biopic d’artiste hollywoodien basé sur le schéma traumatisme originel-ascension-gloire-chute-rédemption. Et c’est pour cela que c’est bon.
Sous son crayon, le charisme légendaire de Cass explose. A l’opposé des critères de beauté d’une époque où la tyrannie de la minceur faisait déjà des ravages physiques (les médecins prescrivaient couramment des amphétamines en guise de pillules minceur), elle séduit grâce à son talent, son bagout et sa personnalité hors-cadre. Le public la réclame, elle éclipse ses partenaires dans ses groupes successifs. Elle est bigger than life, coquette, minaudière, grande gueule, drôle, excessive, ambitieuse. Un peu pathétique aussi lorsqu’elle ne cesse de tomber amoureuse d’hommes qui la considèrent comme une sœur ou une bonne copine.
Visuellement, California Dreamin’ s’accorde avec son héroïne et déborde de charme : visages expressifs, vivants ; décors crayonnés, du plus minimaliste au plus fouillé ; scènes de trips ou de fumette se déroulant hors de toute case, en volutes psyché noires et blanches se promenant à travers la page.
California Dreamin’ s’inscrit dans la lignée des romans graphiques et biographies de musiciens réussis, à l’instar du très coloré Haddon Hall de Néjib (Hors Collection, 2012), où le début de la carrière de David Bowie est racontée du point de vue de la maison dans laquelle il a vécu dans une sorte de communauté. Dans l’un comme dans l’autre, la poésie et les envolées visuelles sont bien plus évocatrices que le besoin de réalisme d’un biopic, les personnages sont stylisés à l’extrême, les événements, bien que réels, prennent des airs oniriques et le silence de la bande dessinée invitent à la réécoute des disques qui l’ont inspirée.