PS’Playlist décembre 2015 (Benjamin, Isabelle, Marc, Arbobo)
Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2015 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.
Deftones – Bored
Extrait de “Adrenaline” – 1995 – Metal
Viet Cong – Silhouettes
Extrait de “Viet Cong” – 2015 – Post punk
Hyacinthe – L’Ennui
Extrait de “SLRA2 : Mémoire de mes putains tristes” – 2015 – Rap français
2015 devait être l’année de l’accomplissement, celle où le travail fourni depuis des années porterait enfin ses fruits et où l’on consoliderait enfin ses appuis pour envisager sereinement l’avenir. Mais, bien évidemment, rien ne s’est déroulé comme prévu. Un des piliers les plus importants de ma vie s’est effondré du jour au lendemain, et il a fallu jouer un temps à l’équilibriste pour ne pas me casser la gueule. Mais bon, c’est comme ça. Dans la vie, il y a des choses sur lesquelles on peut agir, et d’autres qu’on ne peut que subir. J’ai acté rapidement que j’étais dans la seconde situation, et qu’il fallait en priorité que je me focalise sur mes autres appuis. J’aurais aimé sortir un couplet sur combien la musique avait été là pour moi et m’avait aidé à traverser cette mauvaise passe. Mais à vrai dire, ce ne fut pas du tout le cas. Je n’y ai trouvé aucun réconfort. Il faut dire qu’une chanson joyeuse ne m’a jamais revigoré, et qu’une chanson triste ne m’a jamais rendu mélancolique. C’est un peu mon contrat avec la musique. On est là quand il le faut, mais on n’interfère pas avec les émotions de l’autre. Puisque tout était sans saveur et dénué de sens, j’ai appliqué la même stratégie à la musique qu’à ma vie en général : se concentrer sur les valeurs sûres. J’ai écouté Pearl Jam et Fugazi, et je me suis rappelé que Deftones et Radiohead avaient longtemps été mes groupes préférés.
Le chaos aidant, j’ai aussi été fatalement attiré par des groupes qui aimaient le bruit, mais un bruit chargé d’histoire et d’influences. J’ai usé les albums de Viet Cong, de The Soft Moon, de Ought et de Helen. Plus généralement, comme toujours, mais avec une conviction encore plus forte, je suis resté fidèle aux groupes qui comptent pour moi et qui des années plus tard ont toujours des choses à dire ou a minima de vraies chansons à proposer : Wire, Dominique A, Blur et surtout New Order que je ne pensais pas voir se remettre du départ de Peter Hook.
Il y a eu plein de chansons magnifiques en 2015. Des titres qui ont dû en aider plus d’un à encaisser les événements, ceux de novembre et les autres. Je pense aux chansons de Lou Barlow, de Sufjan Stevens, de Arlt, de Low et de Destroyer. Mais, ce qui m’aura peut-être étrangement le plus touché, c’est SLRA2 : Mémoire de mes putains tristes, l’album de Hyacinthe. Des phrases comme « Tout dépend, la vie ou la mort », « Je me fais pas de bile, je sais que je meurs à la fin » ou « La nuit je prends la route en direction d’un autre lit. Désolé mon amour, c’est pas toi que je trompe c’est l’ennui » resteront pour moi comme les plus marquantes de l’année. Le rap game cette année a fait dans le désabusement.
Courtney Barnett – Pedestrian At Best
Extrait de “Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit” – 2015 – Rock à textes
Tim Curry – Sweet Tranvestite
Extrait de “The Rocky Horror Picture Show (Soundtrack)” – 1975 – Comédie musicale fantastique
David Bowie – ★
Extrait de “★” – 2015 – Rock expérimental et bien plus que ça
J’ai rarement eu autant envie d’effacer une année de ma mémoire que 2015. Elle s’achève comme elle a commencé, dans le sang et les extrémismes de tous bords. Entre les deux, je me souviens d’une très longue série de moments passés avec les amis, à se réconforter, à tenter de mettre un vague sens sur la folie ambiante, à boire pour oublier ou laisser les sentiments s’exprimer sans mettre un couvercle dessus (mon petit talent de société). Et comme si 2015 n’était qu’une longue minute de silence, j’ai beaucoup moins écouté de musique que d’habitude. Ou plus exactement, j’ai écouté plein de choses une fois, sans y revenir, sans faire l’effort de découvrir. Je connaissais déjà Courtney Barnett grâce à son double EP sorti l’année précédente et un concert au Divan du Monde. Je n’ai eu aucun mal à renouer avec son phrasé plat à la Lou Reed, ses textes brillants, truffés d’humour et d’autodépréciation. L’album m’a accrochée dès ce premier single faussement facile et direct, et grinçant si l’on gratte la surface, à l’image de cette vidéo. Le cocktail idéal, mélange de légèreté et de vitriol, qu’il fallait au printemps 2015, trois petits mois après les 7 et 9 janvier.
Cet été, j’ai évité les festivals. Pas de programmation assez attirante et, au fond, une espèce de peur inexplicable à l’idée de me retrouver dans la foule alors que la menace d’un attentat restait présente. Floue, mais jamais bien loin dans ma tête. Je ne suis pas medium, juste chroniquement angoissée. Plutôt que de faire des découvertes en live, j’ai à nouveau dévalisé les disquaires de Berlin en quête de vieilleries, de pop queer réconfortante. J’ai racheté la B.O. du Rocky Horror Picture Show, constaté qu’elle était toujours aussi réjouissante et bien roulée que Tim Curry en porte-jarretelles et corset. Ce film-là a accompagné mon adolescence, remplaçant les comédies romantiques ou les grosses machines du calibre de Retour Vers le Futur, trop populaires pour la snob que j’étais déjà. J’ai vu le Rocky Horror Picture Show plusieurs fois à minuit au Studio Galande, entourée d’allumés costumés en personnages du film qui balançaient de l’eau et du riz sur les spectateurs entre deux chorégraphies dans les allées du cinéma. Il suffit que je lise le mot « warp » pour fredonner mentalement le refrain du Time Warp. Et je ne me lasse pas de la fabuleuse entrée en scène de Tim Curry chantant Sweet Tranvestite, maquillé comme une armée de voitures volées, perché sur des talons, image du mâle idéal pour l’adolescente que j’étais. Depuis cet été, dès que je veux échapper à une réalité aussi folle que celle de ce film-là, mais tellement plus glauque, je réécoute cette B.O. L’une des plus réussies que je connaisse.
Ecouter de la musique après le 13 novembre a été une nécessité. Même si pendant une dizaine de jours, il était hors de question de sortir, comme d’habitude, avec un casque sur les oreilles. Je ne fais pas partie des braves qui sont retournés au concert la semaine suivante. Mais j’ai bouffé de la musique triste et belle à faire chialer des cailloux, histoire d’exorciser la douleur. Nick Cave, Johnny Cash, Richard Hawley, les plus belles balades de Blur, Belle & Sebastian, dEUs à son plus obsédant, tout y est passé. J’avais besoin de beauté, de lyrisme aussi un peu histoire de sublimer ma trouille et mon chagrin. Une fois de plus, le vieux héros qui colle à mes basques depuis l’adolescence est venue me chercher et m’embarquer dans un univers parallèle. Visionner le long clip de Blackstar (ou ★) m’a secouée la première fois. Mais ces images vaguement dérangeantes ont eu quelque chose de rassurant. L’art a le droit de me bouleverser, de me retourner la tête, de me filer des cauchemars ou des obsessions. C’est ce que je lui demande. J’ai espéré que les images de la vidéo chasseraient celles qui passaient devant mes yeux au moment de m’endormir. Ça viendra à la longue.
The White Note – That’s All Folks
Extrait de “Oppositional Defiant Disorder” – 2015 – French pop
Godspeed You ! Black Emperor – Piss Crowns are Trebled
Extrait de “Asunder, Sweet and Other Distress” – 2015 – Post-rock d’après
Destroyer – Girl In a Sling
Extrait de “Poison Season” – 2015 – Indie canadien
La tension de notre époque n’a pas réussi à percoler dans la musique actuelle. Sans doute que la sensation de peur trouve d’autres exutoires que le son, allez savoir. Année charnière, l’année juste avant « l’année d’après » ? On ne le sait pas encore. Pourtant on a continué à écouter, à vivre, à voyager, à aller voir des concerts. On continuera tout ça, quoiqu’il arrive.
Parce que c’est un groupe de Paris la meurtrie, parce qu’il a surgi de nulle part avec un album qui compte deux sommets, parce que mine de rien, on s’est surpris à frissonner quand on redécouvert le ‘the world is now over, please close your eyes and die’. On a donc découvert des choses en 2015.
La première fois que j’avais vu le mythique groupe montréalais en concert, j’étais confortablement assis au fond, en haut du balcon, dans le noir et l’expérience avait été grande. Dans cette même salle du Cirque Royal, j’avais cette année décidé d’aller voir ça de près, histoire de tenter de comprendre comment naît ce son. Et ce fut encore plus fort, viscéral, jubilatoire. Avec en point d’orgue le quatrième volet de l’hénaurme morceau qui constitue leur dernier album. Un retour à la vie, une sortie du tunnel dans un paysage encore fumant, une remontée à la surface d’une eau opaque.
Et puis il y a des artistes qui semblent pour toujours planer au-dessus de la mêlée. Un temps perturbé par le succès inattendu de son album précédent, Kaputt (qui ne m’avait pas plus chaviré que ça), Dan Bejar revient en changeant encore une fois de direction. Dans son monde, on peut tomber amoureux d’une place, on peut ressusciter l’esprit des seventies avec un groupe tout simplement souverain. Dans la Rotonde du Botanique de Bruxelles, il est arrivé en terrain conquis, a tout pris et est reparti en vainqueur. Et si cet album intemporel d’un artiste inclassable était le symbole de notre manque de repères, de notre ressenti qui a une fois pour toutes repris le dessus ? Sur Poison Season, on ne retrouve pas que des traces de l’E Street Band de Springsteen, mais aussi des moments d’une délicatesse dont on a décidément bien besoin.
Robert Forster – Turn on the rain
Extrait de “Songs to play” – 2015 – songwriting
Chastity belt – Cool slut
Extrait de “Time to go home” – 2015 – indie rock
Jamie XX feat. Romy – Loud places
Extrait de “In colour” – 2015 – dancefloor romantique
Robert Forster a l’air triste. Un peu comme Tracey Thorn, les traits de son visage travestissent la chaleur de ses émotions. On le croit toujours en deuil, le songwriter au visage émacié. Souvent ses chansons arrachées écharde après écharde aux branches mortes laissent la bouche sèche. Lui si gai parfois, comme sur ce nouvel album lumineux, écrit toujours avec son ombre. Avec “disaster in motion”, il écrivait sans le savoir le film de notre année, que l’on subit comme le déluge. Bourrée de joies, de rencontres, de beauté mémorable. Comme la jeune islandaise JFDR, dont la sobriété fait honneur à Forster, ou Pauline Drand qui réinvente le cocktail pop. Une année 2015. Maculée de sang. Séché. Noir. Indélébile. Nos vies sont tâchées.
La vraie vulgarité consiste à rétrécir le monde, le sien, celui des autres, le passé comme le futur. La vulgarité, c’est écraser les envies, les individualités, c’est pointer du doigt lui, elle, “eux”… Il y a de ces groupes au contraire qui ouvrent le monde. Iko Chérie, groupe madrilène avec une chanteuse française et des paroles anglaises, dont la pop sent l’herbe fraîchement coupée. US girls, qui maquille sa lo-fi à l’huile moteur et cache sa voix au fond d’une caverne sonore, pour mieux résonner. Ou encore ses compatriotes Chastity belt. Féminisme assumé et tranquille, humour distancié, guitares bien balancées. Et qui chantent leur droit à ne pas être jugées sur la longueur de leur jupe ou quoi que ce soit qu’elle se mettent sur le dos.
On dansera, beaucoup et fort, avec l’élégance et le détachement de celles et ceux qui n’ont rien de mieux à foutre que de vivre ici et maintenant. Avec l’échalas finlandais Jaako eino Kalevi. Ou Etienne de Crecy, revenu de nulle part, comme tous les 10 ans, avec une livraison de Superdiscount plus suintante et aguichante que les précédentes. Mais on aura tout de même les oreilles à Londres. En solo, Jamie XX nous refait le coup de la sobriété mélancolique. Mais même en mineur, même le corps couvert de larmes qui se mêlent à la sueur, notre place est plus que jamais dans ces “loud places” où il nous fait balancer les bras et les hanches, les dents plantées dans la lèvre inférieure, mi-désarticulés mi séduisants, abandonnés. Au réveil le combat reprendra, le combat ordinaire et l’autre, contre ce qui menace l’humanité en nous. Demain c’est loin, vivons pleinement notre abandon. Nous revivrons vainqueurs, amoureux et puant de sueur qui n’est pas la nôtre. Demain ? Demain.