PS’Playlist décembre 2015 (Christophe, Marc, Thomas)
Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2015 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.
Nina Simone – Feeling Good
Extrait de “I Put A Spell On You” – 1965 – Standard
Major Lazer feat. Ezra Koenig – Jessica
Extrait de “Free The Universe” – 2013 – Dancehall
The Velvet Underground – Last Night I Said Goodbye To My Friend
Joué une seule fois à la cérémonie du Rock’n’Roll Hall of Fame – 1996 – Hommage
On ne doit pas être nombreux à considérer que 2015 n’était pas une si mauvaise année que ça. De manière très égoïste, je crois que je peux être fier de ce que j’ai accompli ces derniers mois : faire aboutir un projet en préparation depuis plus de 18 mois en créant notre entreprise avec mon épouse le jour de mes 40 ans. Ensemble, on a changé de métier, lancé l’activité, commencé à développer ma gamme de produits et posé les premiers jalons pour assurer la croissance de notre création. Ce n’est pas tous les jours facile, parfois on en chie, on monte un peu dans les tours, mais cela n’a rien de surprenant. La fierté, la satisfaction et l’envie d’aller de l’avant priment. Ces sentiments-là, Nina Simone les avait déjà décrits il y a 50 ans dans sa version indépassable de Feeling Good, standard dont on devrait aujourd’hui restreindre les reprises.
Musicalement, en 2015 j’ai eu les oreilles grandes ouvertes. En grande partie grâce à Radio Nova que j’ai laissé en fond sonore à longueur de journée. Des coups de cœur en série pour des remixes de haute volée, du hip-hop de petits génies, du blues métissé venu du sud profond, de la synthpop entêtante, de l’électro claudicante pondue par un gamin écossais de 19 ans, et même pour une reprise d’Elton John parfaite pour un retour de soirée à 5h du mat’. Si je ne devais en garder qu’un, ça serait Jessica, ce morceau un peu fou de Major Lazer qui commence déjà à dater. Avec le succès monstre de Lean On au printemps, je pensais que Major Lazer n’était un machin de producteurs tout juste bon à remplir des compiles dance sponsorisées par NRJ et Fun Radio. C’est plus complexe que ça et il y a dans ce projet des éléments qui peuvent plaire autant au kéké qui frime avec sa Seat Ibiza tunée sur le parking du Macumba Night qu’à l’amateur éclairé dénicheur de samples rares. La version de base de ce morceau, avec un Ezra Koenig de Vampire Weekend aux vocaux sous Tranxène, est bien ; le remix avec Mr. Williamz à la scansion dancehall, est grand.
Forcément, impossible de faire abstraction de ce qui s’est passé à Paris en janvier et en novembre. Parce que des fous se sont attaqués à des journalistes, mon ancien métier, et à des personnes qui étaient simplement en train de profiter de la vie au travers d’un verre, d’un repas ou d’un concert. Deux événements tragiques qui se sont produits à quelques encablures d’endroits où j’ai vécu, qui ont touché directement des proches, et qui m’ont foutu mal à l’aise pendant des jours. J’aimerais clore ce chapitre avec un morceau du Velvet composé en quelques minutes pour rendre hommage à leur guitariste Sterling Morrison, mais dont les paroles sont universelles et s’appliquent à tous ceux qui ont vécu des moments de douleur un soir de novembre. Et maintenant, tentons d’aller de l’avant. Et de nous sentir bien à nouveau.
Country Joe and the Fish – The Fish Cheer & I-Feel-I’m-Fixin’-to-Die Rag
Extrait de l’album “I Feel Like I’m Fixin to Die” – 1967 – Folk psychédélique
Jefferson Airplane – White Rabbit
Extrait de l’album “Surrealistic Pillow” – 1967 – Rock psychédélique
Grateful Dead – Dark Star
Extrait du single “Dark Star” – 1968 – Rock psychédélique
Dans l’avion du retour, je repense à cette terrible année 2015. S’il est plus facile de voyager dans l’espace que dans le temps, il n’est pas si difficile de se replonger dans les racines de l’histoire. On y trouve parfois des clés de compréhension du présent et souvent des concordances de temps.
C’était une époque où l’on rêvait de changer le monde en transformant la société. La guerre du Vietnam faisait rage, tandis que le mouvement hippie se développait aux Etats-Unis. A San Francisco, une partie de la scène musicale s’engageait sur le plan politique et composait des hymnes antimilitaristes entre deux semestres à Berkeley. Fondé par deux étudiants de la célèbre université, le groupe Country Joe and the Fish a écrit l’une des plus célèbres chansons contre le conflit au Vietnam, The Fish Cheer & I-Feel-I’m-Fixin’-to-Die Rag. De manière sarcastique, les politiciens, l’état-major de l’armée et le lobby industriel en prennent pour leur grade, coupables selon Country Joe and the Fish d’avoir entraîné le pays dans la guerre… et la mort.
La contre-culture américaine ne formait pas un mouvement uni. Entre les universitaires de Berkeley et les hippies hédonistes du quartier de Haight-Ashbury de San Francisco, l’entente était tout sauf cordiale. Aux manifestations politiques des premiers, les seconds répondaient par des « acid tests », qui leur inspiraient des chansons toujours plus psychédéliques. C’est ce que fit Jefferson Airplane, l’un des groupes phares de la scène hippie, dans son morceau White Rabbit. Après une intro à la basse, un tourbillon de champignons magiques et d’hallucinations lysergiques nous emportent dans l’univers d’Alice au pays des merveilles… pour mieux échapper à la réalité et en découvrir une autre à la fois.
Titre prophétique, Dark Star est l’oeuvre du Grateful Dead, autre formation majeure de San Francisco, en quête d’expérimentation musicale sous influences… Cette bien sombre étoile anticipe la fin du mouvement hippie, de ses aspirations et de ses illusions.
Rock Plaza Central – Anthem for the already defeated
Extrait de “Are we not horses” – 2006 – Indie folk
Alain Souchon – Et si en plus y a personne
Extrait de “La vie Théodore” – 2005 – Chanson
Pauline Croze – T’es beau
Extrait de “Pauline Croze” – 2005 – Chanson
Noël 2014. Au hasard de nos visionnages hivernaux, nous tombons avec Lucile sur The Battery, petit film datant de 2012 que l’on pourrait décrire comme un drame existentiel sur fond d’attaque zombie. Coup de cœur inattendu pour ce film qui nous a bien plus marqués que l’immense majorité des films sortis en salles en 2015. Au beau milieu de ce film se déploie cette scène dont nous avons déjà parlé en janvier : on y voit l’un des héros oublier quelques minutes son statut de proie potentielle et effectuer une chorégraphie improbable sur un morceau de Rock Plaza Central. Un hymne aussi festif que sombre qui invite à la résistance. Et à danser, plus ou moins imbibés d’alcool, sans prêter attention aux menaces.
J’ai toujours pensé que La vie Théodore était l’album le plus sous-estimé d’Alain Souchon. Il m’a fallu quelques années pour me rendre compte de sa profondeur vertigineuse et pour réaliser à quel point il me correspondait (même si, moi-même, je ne suis pas vertigineusement profond). Farouche athé, je me suis toujours dit qu’un monde sans religions fonctionnerait beaucoup mieux. La réalité est plus complexe : le problème n’est pas la religion, mais son interprétation désastreuse par des extrémistes et des tarés de tous horizons. Et si en plus y a personne traduit bien cette ambiguïté : des âmes perdues et/ou pourries sèment le malheur dans le monde au nom de divinités qui ne leur ont rien demandé… et qui n’existent sans doute même pas (c’est en tout cas mon avis).
Quand il m’arrive d’être pris par une bouffée d’optimisme et de tenter d’oublier le merdier ambiant, je me rappelle que pour moi, 2015, c’est la naissance de mon troisième (et dernier) enfant, ainsi que la publication de mon premier (et dernier ?) livre. Sur le plan personnel, ça n’est donc pas un trop mauvais cru, même s’il est évidemment difficile de se limiter à ça. Mais laissez-moi immortaliser ces moments où mes deux aînés m’ont réclamé la chanson de Pauline Croze, sur laquelle ils aiment remuer leur popotin et dont le clip les fascine. Je crois qu’ils n’ont pas tout à fait conscience des paroles, mais un morceau qui dit « t’es beau parce que t’es courageux de regarder au fond des yeux celui qui te défie d’être heureux » me semble être le parfait résumé de ce que, leur mère et moi, allons essayer de leur inculquer en 2016.