Dès le titre de l’album, Dreaming on, on sait à quel ambiance on est invités. Et c’est bien de rêves, pas de cauchemars que l’on parle. Une douceur, presque cotonneuse, nous berce de bout en bout. Le chant haut perché, à peine flouté par quelques effets, contribue à cet onirisme.
Le disque d’Iko chérie s’ouvre et se referme dans le même ton, mais nous laisse voir du pays entre temps. On a même une ballade swing du plus bel effet, comme Ferdinand et Marianne, qui en dépit de son titre pourrait être de Chris Isaak ou Timber timbre. Jardin des plantes parle d’une jeune fille rebelle dont Paris est le village dans “les années soixante”. Difficile d’être plus clair. Truffaut et la bande des Cahiers du cinéma vantaient à longueur de page le cinéma américain populaire. Celui des films noirs, dans lequel nous plonge Even the stars, magnifique final de ce disque, probablement son meilleur titre, le plus abouti.
Le groupe “espagnol” Iko chérie nous parle d’un passé que nous n’avons pas tous quitté. Un peu d’années 80, celles où la bossa nova était réappropriée à la sauce européenne, comme aux débuts de Everything but the girl, celles de groupes qui pratiquaient avec modestie un artisanat de la pop song. Ils s’appelaient Galaxie 500, Felt, the Orchids, the Go-betweens, ou Mikado dans nos contrées… Détail amusant, en 1982 un trio français baptisé “Iko” (tout court) publia un disque de minimal wave assez bon, et chanté en partie en français. Iko chérie serait-il un hommage?
Iko chérie a aussi ses racines dans les années 90, celles d’Ivy, groupe new yorkais dont la chanteuse est française, des Cowboy junkies, du shoegaze ouatté de Slowdive, voire de l’album final d’Henri Salvador écrit avec Keren Ann, ou encore de celles de Stereolab. Les points communs ne manquent pas, un groupe étranger co-fondé par une française qui en est la chanteuse, et dont certains morceaux ont clairement une rythmique bossa. C’étaient aussi les années où nous fumes ensorcelés par Hope Sandoval et Mazzy star, auxquels on pense inévitablement sur Even the stars. Iko chérie tisse sa propre étoffe, délicate, de twee pop. Mais convoque aussi, sans excès, toutes ces références.
Sur le doux-amer Even the stars, Marie Merlet descend d’une ou deux octaves. La caresse se fait moins insouciante. La leader et chanteuse bordelaise apporte une belle clarté à ce disque. Sans afféterie, elle pose son brin de voix avec une fragilité charmante. Le contraste avec Laetita Sadier, invitée sur Go now, est frappant. Loin de la force tranquille de cette dernière, Merlet fait plutôt penser à Kumi Okamoto (Konki duet, Kumisolo), surtout sur Flowers for Brian. Mais la légèreté n’est pas une faiblesse. Et Marie Merlet n’est pas juste tombé du nid, elle a fait ses armes dans différents projets, dont Lisbonne où elle chantait déjà en plusieurs langues. Puis elle apporta la deuxième voix et la basse sur deux albums de Monade, le groupe de Laetitia Sadier, avant de travailler avec Julien Gasc. Une belle équipe de pop d’Aquitaine. Et un pedigree déjà très intéressant qui donne envie de continuer à suivre Marie Merlet, qui réalise aussi certains de ses clips.
La française a de belles accointances. Ce n’est pas si étonnant au fond de trouver Iko chérie sur le label espagnol Elefant. L’amour de la pop se nourrit de l’histoire des labels. Elektra, Factory, Cherry Red ou le Village vert hier, Too pure ou 4AD ensuite, actuellement Sacred bones, Bella Union ou FatCat. Au 21e siècle les frontières de la pop se sont considérablement élargies et des labels de qualité ont commencé à durer hors du Commonwealth, en France (Vicious circle), en Allemagne (City slang) ou encore en Islande (Bad taste, Bedroom community), pour ne citer que quelques-uns d’entre eux.
Qu’on en soit ou non surpris, l’Espagne est depuis le début du siècle un vivier réjouissant (Bigott, Nacho Umbert, Marina Gallardo, El guincho, Fuckaine, Hinds…), mais aussi une terre d’élection. Le trio Boat beam en fut un des exemples les plus réussis, formé à Madrid avec une espagnole, une américaine et une australienne. On peut aussi citer L’Altra, originaire de Chicago. Et dans cette effervescence musicale, tantôt rock tantôt électro, souvent pop, Elefant est un label à suivre, de même que Acuarela (sans doute plus connu), Limbo Starr, BCore ou Gandula.
Belle écurie en effet, Elefant, qui permet de découvrir des artistes aussi différents, et souvent barrés, qu’un duo hispano-suédois (Die katapult), le rock shoegaze de Wild Balbina, la noise de Los Bonsais, la pop 60s de The School, ou Belle Ghoul qui mérite mieux que la curiosité inspirée par l’arbre généalogique de ses membres.
Qui sait, peut-être que l’album d’Iko chérie, après vous avoir invité à la rêverie, vous fera aussi découvrir l’Espagne sous un nouvel angle.