Julieta : du rouge, du noir, et quelques autres motifs épars
Dans une interview récente au magazine So Film, Almodóvar regrettait d’avoir dû tourner son nouveau film, Julieta, en numérique. A la découverte de ce dernier, on peut comprendre sa réticence. Julieta est un film de motifs, de décors, de couleurs et donc de textures. Mais l’utilisation du numérique lui fait perdre une certaine épaisseur d’image, celle des décors contrastés et des visages lumineux. Heureusement, les actrices, Emma Suarez en tête, captent à merveille cette lumière qui les rend si vivantes. C’est que Julieta est le retour pour le cinéaste espagnol a ses fameux portraits de femmes. Un mélo généreux, aussi vivace que pudique.
Et puisqu’il est un homme d’images, Almodóvar décline son film autour de ses deux couleurs fétiches. D’abord le rouge, forcément signe de passion. Dès le plan d’ouverture, il inonde l’image, avec ce gros plan sur une robe aux mouvements légers et réguliers comme un cœur qui bat. C’est le sens de la première partie du film : raconter l’ancienne vie passionnée d’une femme. A travers un flashback (encore un motif du cinéaste), le portrait se dessine, par contours d’abord, puis par remplissages subtils. Il y a tout ce qui caractérise le cinéma du grand Pedro : des amours fougueux, du suspense, des non-dits, des regards caméra. On retrouve aussi l’élégance des habitats, des costumes et des visages. Comme son idole Hitchcock, Almodóvar décline toute une série de gros plans. Les horloges semblent figées, les lunettes de soleils participent aux mystères et les lieux, souvent vidés de vie, hantent les personnages. Et surtout, il y a un tatouage, forcément gorgé de rouge, éminemment gorgé d’amour.
La seconde couleur du film, le noir, appuie avant tout les deuils, autre grand thème du cinéaste. Il serait malvenu de tous les dévoiler mais ils couvrent tous les coins du prisme. Les morts sont légions, mais pas seulement. Julieta contient plusieurs personnages devant prendre soin d’un malade. Il y a le père de famille, Xoan, qui au début est au chevet de sa première petite amie ; il y a le père de Julieta, plutôt négligeant avec sa femme ; enfin, le nouveau petit ami de Julieta, inquiet du comportement de sa bien-aimée, tente à sa façon d’être à son chevet. Ces hommes demeurent bien impuissants. Il n’y a que les femmes qui initient l’action, même au bout du rouleau, même en deuil, même esseulées. Elles ont les réponses, elles s’octroient le droit de pleurer, de s’isoler, d’écrire, de rire, de faire du basket. La plus belle scène à cet égard concerne Julieta qui sort sa mère de sa chambre devenue prison. La vielle femme retrouve la lumière et donc la vie.
Le seul hic dans tout ça, c’est qu’Almodóvar l’a déjà fait, en mieux. Loin de moi l’idée de reprocher au cinéaste de travailler des variations de ses motifs mais, arrivé à un point, on le sent comme perdu. Quand il délaisse ses deux couleurs fétiches, les autres teintes ne se révèlent pas. Elles sont là, parfois avec gout comme cette robe de chambre aux allures de Klimt, mais aucune ne fige le regard. C’est un film bichromatique dans la symbolique. Du coup, le dialogue prend le relais. Le film devient par moments une accumulation de révélations mélodramatiques. Dans sa deuxième moitié, Julieta peut passer du grandiose (une transition entre les deux actrices jouant Julieta à l’aide d’une serviette qui sèche les cheveux) au laborieux (les Deus Ex-Machina des personnages venant aider l’héroïne). Reste que le film, par cette carence, illustre bien le vide d’une femme rongée par le remord. Abandonnée de tout ceux qu’elle aime, elle se réfugie dans un appartement vide, où elle écrit son histoire. Seul l’ultime plan, empli de vert, couleur de l’espoir parait-il, annonce une nouvelle phase chromatique dans la vie de Julieta. Alors, sans pour autant oublier ce beau tatouage noir et rouge, la promesse de ce final a quelque chose de bouleversant. N’est-ce pas ce qu’on attend d’un mélo ?
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