Toni Erdmann : l’insoutenable légèreté de l’être
Film présenté le vendredi 13 mai 2016 en compétition du 69ème festival de Cannes.
Une affiche énigmatique qui n’est pas sans rappeler le furry wall de Get him to the Greek ou les grands singes de la forêt tropicale, et Toni Erdmann tape dans l’œil dès l’arrivée sur la croisette. En 2009, la réalisatrice allemande Maren Ade se faisait remarquer de la critique avec Everyone else, étude d’un couple en voie de délitement sous le soleil des vacances. Une nouvelle fois, elle pose sa caméra pour observer la coquille qui se fendille, les masques qui tombent de la relation père-fille.
Sur la longueur (2h42 de métrage), le film est construit comme un air de tango, lente confrontation avant le dernier quart du film où explose, enfin, l’exubérance. Et quelle folie ! Une scène chantée, la seule du film, agit comme une libération, provoque une véritable bouffée d’enthousiasme. Parce qu’entre la fille, Inès, et le père, Winfred, c’est viscéralement que l’opposition se construit. Point de rancœur ou de vindictes anciennes pour expliquer l’absence de complicité et de confiance. C’est juste qu’entre le vieil homme farceur (qui ne sort pas de chez lui sans son dentier de farces et attrapes) et la consultante dans une société allemande à Bucarest, rien ne fait le lien. Leurs vies diamétralement opposées les éloignent même dans le langage et, souvent, sans se l’admettre, ils ont honte l’un de l’autre. Mais Winfred, doux rêveur, n’a que pour seule obsession le bonheur de sa fille quand celle-ci a décidé sciemment d’effacer cette donnée de sa vie.
Le choix de Winfred, alors, confine à la folie. Affublé d’une perruque ridicule, de son dentier et d’un nom d’emprunt, il se met en tête de suivre sa fille à Bucarest, apparaissant sans crier gare de cocktails de travail en soirée entre amies. Rien ne l’arrête dans cette quête à la double intention : celle de découvrir si sa fille est heureuse dans la vie, et celle de l’aider à sortir de son carcan de compétitivité et de pression sociale. Tandis qu’elle se reconnecte peu à peu à son héritage, lui, est forcé de reconsidérer son but dans l’existence. Et si les grandes questions sont posées le film reste une comédie de personnages, parfois loufoque, parfois déroutante mais toujours sur le fil de la sanité.
Grâce à Toni Erdmann, personnage de fiction dans la fiction, le lien rompu se reconnecte et les échecs de communication s’amenuisent. Comme une passerelle entre les deux fortes personnalités, Toni est le jeu de rôle qu’il fallait à l’un comme à l’autre pour que chacun trouve sa vraie place, à la fois dans la relation et dans la société.
Inès parfaite, l’actrice Sandra Hüller ne tombe jamais dans la caricature de la business woman (la question ne se posait pas pour le personne de Winfred qui ne ressemble à rien de connu) et sait trouver dans la gestuelle et le regard des nuances qui crèvent l’écran. Elle apparaît vite enfermée et chaque indice de l’existence de sa personnalité profonde est un pas vers la liberté. Non, elle ne fera pas le sacrifice de sa vie professionnelle, qu’elle a eu tant de mal à construire, mais elle semble doucement apprendre à respirer, à ressentir (la douleur en particulier), à aimer et à détester.
Alors que le scénario flirte souvent dangereusement avec la folie, la caméra de Maren Ade est légère, rassurante, elle enveloppe le récit et calme les angoisses. Non, son film n’est pas drame. C’est bien une comédie humaine profonde sur la légèreté.
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