“Nous ne possédons pas vraiment ce que nous tremblons de perdre”. Voici ce qu’écrivait Jean-Claude Pirotte dans “Cavale”, en 1997. C’est la première phrase qui vient à l’esprit en écoutant “Ithaque”, le septième album de Silvain Vanot, qu’il a enregistré seul, si l’on omet les collaborations de John Greaves et Brad Scott. Un disque comme une étreinte, une tentative presque désespérée de négocier un peu de répit avant le grand chambardement. “Les pieds dans la glace, la tête au vent, je n’ai pas froid. Je brûle dedans.” C’est avec cette “chanson heureuse” qu’il aborde ce qui n’est ni un voyage, ni une promenade. C’est juste un recueil d’histoires plus ou moins grandes, de souvenirs parfois vagues, de farces indécises. Juste un objet profondément émouvant, conduit par l’humilité et cette volonté, peut-être inconsciente, de créditer les narrations les plus minimalistes. Il y a Lucie, l’amie qui s’est évaporée dans les lumières d’une grande ville ; la siamoise qu’on n’entend pas quand elle annonce la fin du monde ; le marié du port et ses sifflements de cinéma. Autant de contes qui s’amarrent à l’esquif de Vanot comme de frêles bagages, en route vers la quiétude.
Même s’il a enregistré ce disque presque seul, il s’est emporté vers un monde que l’on peut vaguement rejoindre. Un monde avalé par la normalité, un monde blasé par toutes ces histoires primordiales, un monde qui ne sait que faire des choses les plus simples et qui a fini par abdiquer. De ses débuts avec Murat il y a près de 25 ans, des accointances qu’on a voulu lui prêter avec la Terre entière, Vanot n’a jamais rien construit d’autre qu’un écart, un pas de côté, une surprise. Une matière à réfléchir, à s’ouvrir au peut-être.
La semaine dernière, lors d’une interview accordée à France Inter, Tristan Jurgensen, le patron de Fun Radio et RTL2 déclarait qu’il était “de plus en plus difficile de trouver des artistes français qui chantent en français.” Dans ce contexte, il faut saluer le travail de Baptiste Lusson et sa structure 03h50, dont l’existence même est vouée à faire mentir ces gens qui au mieux manquent de curiosité, au pire se complaisent dans l’ignorance. Il faut aussi souligner l’engagement de Laurent Bajon et Benjamin Caschera, fondateurs de la Souterraine, ou de Vincent Théval, dont la seule fonction a été, ces dernières années, d’éventrer le silence. Des artistes français qui produisent de grands disques, il y en a. Et Silvain Vanot en fait partie. Dans la simplicité de ses guitares, pianos et sitars, on célèbre une tradition musicale française qui ne fera jamais l’économie des mots et de leur sens. Ceux qui la portent s’appellent Silvain Vanot, La Féline, Pain-Noir, Orso Jesenska, Maissiat ou encore Buridane. Et nous sommes leur public.