The Get Down (2): jeu de pistes musical
Une bande son qui brouille les pistes
La bande originale de la série télé The Get Down va du bon à l’excellent. C’est une bonne occasion de (re)découvrir des morceaux, voire des artistes. Les premières notes que l’on entend dans The Get Down ont sans doute été utilisées par des rappeurs, mais n’appartiennent pas à l’univers du rap en soi ni à la culture américaine. Effectivement « Vitamin C » (ici présentée sous la forme d’un remix récent) date des premiers vagissements de la future scène rap du Bronx, mais c’est un morceau du groupe rock expérimental allemand Can, dont le chanteur Damo Suzuki est japonais. L’influence des groupes allemands des années 1970 sur la scène house et électro de Detroit est bien documentée (cf. Le chant de la machine, évoqué dans l’article précédent), mais le lien avec le rap est moins évident si l’on excepte “Planet rock” de Bambaataa
Le rap ne constitue ainsi qu’une petite partie de la BO de la série. Et encore, il s’agit en partie de titres récents créés pour l’occasion par Nas. Car le personnage central de The Get Down, Ezekiel, fait l’objet de fréquents flashs forward où on le présente sur scène en 1996, Nas lui prêtant sa voix. Dans la bande son, on trouve des sons latino, salsa et boogaloo, ce qui est normal dans le Bronx de l’époque dont la population est autant afro-américaine, que puerto-ricaine ou latino-américaine. Ces musiques étaient jouées par les DJ, y compris les pionniers du hip hop, qui ne puisaient pas que dans le funk ou la disco.
La disco est l’autre musique phare de la série, puisque l’amie d’enfance (et un peu plus) d’Ezekiel, Mylene, cherche à quitter les cantiques de l’église de son père pour devenir une nouvelle Donna Summer. En fait de disco, on entend aussi des pop-songs moins marquées par les 70s, en particulier le titre original de la série, « Set me free », chanté de manière très convaincante par la comédienne Herizen Guardiola, avec un enthousiasme juvénile communicatif.
Le groove est bien présent, mais il n’est pas toujours américain, ni noir. Le fait que l’homme aux manettes de The Get Down soit un australien blanc, Baz Luhrmann, n’y est peut-être pas étranger. Si « Hot stuff » des Rolling Stones est d’époque, d’autres titres proviennent en revanche de notre présent, notamment du tout nouvel album de Michael Kinawuka, également britannique comme les Stones, dont le titre « I’m a black man in a white world » revient régulièrement.
Autrement dit, cette série souvent présentée comme consacrée aux débuts du rap, fait entendre du rap de plusieurs époques, ainsi qu’une majorité de titres qui ne sont pas issus du rap, et qui ne proviennent même pas de la culture américaine. Cette sélection fourre-tout, plutôt de bon goût, ne ressemble au final pas à grand-chose ; surtout comparé à celle de la série Vinyl, dont toute la BO est tirée presque exclusivement de la scène rock de l’époque (à l’exception de quelques titres de Julian Casablancas) ou à celle de Halt & Catch Fire, magnifique série actuelle. Cette dernière reconstitue scrupuleusement des époques, d’abord l’apparition de l’ordinateur personnel, puis celle du portable, et enfin celle d’internet. Les détails sont très soignés, mais les créateurs ont fait le choix d’une BO entièrement récente. Cela passe très bien, et cela contribue à l’identité du programme. Ces deux séries, contrairement à The Get Down, ont fait des choix forts et cohérents. Alors que The Get Down donne surtout envie d’écouter Can ou Vickie Sue Robinson (“Turn the beat around”), là où le documentaire The Style Wars donnait envie de se jeter sur du rap old school.
La bande son de la série ne vous aidera donc pas du tout à vous familiariser avec les premiers rappeurs. Pour cela, il faut soit se tourner vers les films évoqués précédemment, soit aller directement à des compilations 100% rap. L’une des plus belles, Big apple rappin’ (Soul-Jazz, 2006, ou encore Boombox en 2016 chez le même éditeur), avec son livret blindé d’affiches de l’époque et d’interviews, reflète brillamment le son des années 1979-1982 avec des noms importants (Spoonie Gee) et surtout des raretés (Xanadu). Et pour se plonger dans le son des soirées de l’époque au Roxy ou ailleurs, des enregistrements bootlegs sont disponibles en ligne (soit dit en passant il faudra un jour explorer la similitude entre les jazzmen qui ne jurent que par la performance live et l’improvisation, et les DJs old school comme Flash et Bambaataa pour qui jamais aucun disque ne rendra compte de ce qui se passe réellement lors d’une party). (à suivre)
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