Into the Inferno : le Dieu Volcan
Film disponible sur Netflix depuis le 28 octobre.
Il n’y a pas plus aventurier comme cinéaste que Werner Herzog. Après Rencontres au bout du monde, qui parlait de ces gens qui travaillent et vivent en Antarctique et La grotte des rêves perdus, sur la grotte Chauvet, le cinéaste allemand entreprend un voyage au cœur des volcans le plus actifs du monde. Into the Inferno va partout : Vanuatu, Islande, Indonésie et même… Corée du Nord. Tous ces projets ont en commun une fascination d’Herzog pour la puissance de la Terre et le courage, voire la folie, de quelques aventuriers. Alpinistes, géologues, simples habitants attachés à leur village, les documentaires d’aventure d’Herzog mettent en lumière des amoureux de la nature. Et à chaque nouveau film, le réalisateur distille un mélange de magie et d’approche scientifique passionnante.
Avec Into the Inferno, il poursuit une obsession de plus de quarante ans. Déjà en 1976, il parcourait la Soufrière de Guadeloupe alors qu’elle était prête à exploser. En contrebas, des villes désertes étaient à peine perturbées par quelques inconscients qui restaient en dépit du danger de mort. Werner Herzog n’admire pas tant les volcans que ce qui se passe autour. Car derrière son allure de baroudeur, l’homme a le risque mesuré. Il le dit lui même à son complice Clive Oppenheimer : oui, il a la curiosité de filmer la lave au plus près, mais ça n’est pas une obsession. Son approche est la même que celle des scientifiques. Il accepte le danger mais ne se risque pas à n’importe quoi pour quelques images. Quand on a vu Grizzly Man, on se dit que c’est un peu faux. Sauf qu’Oppenheimer acquiesce : « c’est évident. Si vous étiez imprudent, vous seriez déjà mort, tué par un grizzly ou une coulée de lave. » La méthode Herzog n’est donc pas celle d’un illuminé qui part bille en tête*.
A l’origine
S’il aime se mettre en scène (il est occasionnellement acteur), Herzog apprend ici à s’effacer au fur-et-à-mesure. Une fois passé quelques apparitions à l’écran, il laisse exister ses compagnons d’aventure. Son alter-ego pour ce film est le vulcanologue Clive Oppenheimer, auteur d’un spectaculaire livre intitulé « Eruptions that shook the world ». Les deux s’étaient déjà rencontrés au moment de Rencontres au bout du monde et devinrent amis.
A chaque étape du voyage, un homme vient éclairer l’exploration. Le film commence assez classiquement sur un volcan du Vanuatu et les croyances des autochtones autour. Puis, un peu sur le modèle de la Grotte des rêves perdus, Into the Inferno vire à la réflexion sur les origines de l’Homme. Ainsi, on apprend qu’une éruption vieille de 74 000 ans a probablement failli éteindre l’humanité. « Il ne restait peut-être que 600 humains », éclaire Clive Oppenheimer. Si la théorie est à prendre avec des pincettes, le vertige est constant. Le volcan est bien plus puissant que l’Homme. Les célèbres époux Katia et Maurice Krafft, auteurs des images les plus sidérantes de coulées de laves, l’ont payé de leur vie. Mais au delà de ça : le volcan, c’est le trait d’union que nous avons avec les âges ancestraux. Dans un segment absolument passionnant, Herzog et Oppenheimer participent à des fouilles d’ossements humains au cœur des régions les plus arides d’Éthiopie.
Éblouissement divin
Les pérégrinations du film trouvent leur acmé dans un voyage improbable dans la dictature nord-coréenne. On y apprend que l’université de Cambridge est parvenue à un partenariat avec le régime de Kim Jung-Un afin de travailler sur le mont Paektu. Malin au possible, Herzog s’amuse à filmer le parcours touristique qu’impose les autorités et de montrer que le Mont Paektu sert d’élément central à la propagande. Dès lors, il devient génial de constater que le titre « Into the Inferno » sert aussi à qualifier ce voyage dans les enfers colorés de la Corée du Nord.
Pourtant, la dictature communiste n’a pas le monopole de l’éblouissement divin autour d’un volcan. Chaque Mont actif a ses légendes. Il y a par exemple ce charpentier construisant une église-abris en forme de colombe. Des tribus y voient un message de la nature. Le plus amusant vient de ces habitants du Vanuatu qui virent un jour John Frum, un G.I américain, descendre du ciel et offrir la culture de son pays en cadeau. Depuis, il est vénéré comme un Dieu, au point qu’il vivrait dans le volcan ou qu’il l’utiliserait comme porte entre les États-Unis et l’île. Toutes ces anecdotes peuvent paraître improbables, elle pourraient même susciter la moquerie, mais le film, globalement bienveillant, révèle autre chose : ces cratères en fusion forment ou renforcent des cohésions sociales. Si le volcan donne la mort, il structure aussi la vie. A ce titre, Into the Inferno montre un état du monde actuel.
Si le film n’oublie pas la fascination et la sidération, notamment en montrant les éruptions sur des musiques sacrées ou traditionnelles, il donne voix au chapitre à des peuples habituellement muets. Le documentaire se conclue sur une forme de nostalgie apocalyptique : la lave est indifférente à tout ça, à nos états d’âmes, nos recherches, nos errances. Elle nous est supérieure. Elle peut nous détruire. « Je pense que tout va fondre. Les pierres, les arbres […] Ce volcan détruira la Terre », conclue un chef de village, aux paroles plus sages qu’il n’y paraît.