Dans les années 2000, Macy Gray remplissait des têtes de gondole entières chez les disquaires. Avec Jill Scott ou Angie Stone, elle était l’une des grandes figures de la nu-soul et incarnait la génération qui fit passer celle-ci du frémissement hype au statut de genre incontournable volant de hit en hit. Le trait d’union entre Erykah Badu & D’Angelo et Alicia Keys, c’était ce fabuleux trio de voix de velours.
En termes de ventes, le genre a depuis perdu de vue la première marche des podiums. Les sorties d’albums ont quitté les couvertures de magazine. Et on serait tenté de conclure que le courant s’est tout simplement essoufflé. Mais en réalité, autant il est clair qu’écouter les albums sortis au XXIe siècle par OMD ou Marc Almond est une torture, autant on aurait tort de penser que les papes et papesses de la nu-soul sont cramés et n’ont plus rien à offrir.
La nu-soul n’existe plus ?
Macy Gray a sorti en 2016 un nouvel album beau, intéressant, et maîtrisé de bout en bout. Son inimitable chat dans la gorge s’étire avec souplesse et feule avec une force intacte. Un disque en forme de retour aux sources, comme elle l’explique dans certaines interviews.
Résumé des épisodes précédents : en 1999, Macy Gray a percé d’emblée avec un style très marqué, une manière de faire de la soul qui annonçait le RnB actuel, avec une production bien grasse, un mélange de sons hyper récents et de basses testostéronées comme dans les années 80, ainsi que des choeurs qui brillaient plus par leur efficacité que par leur finesse (cf. Still sur son premier disque). 17 ans plus tard, ses premières productions sont toujours aussi plaisantes à écouter, I try ou I’ve committed murder restent toujours les excellents titres qu’on avait portés aux nues en 1999.
Entre temps, et pour le plus grand bonheur des amoureux de soul et de funk – notamment grâce à Amy Winehouse –, nous avons assisté à un véritable revival sixties qui a pris le devant de la scène soul, rebattant un peu les cartes des styles qui marchent ou non. La soul redevenait progressivement une musique de connaisseurs (quel dommage), mais une musique vivace, avec un paquet de bijoux (Lee Fields, Sharon Jones, Charles Bradley) et une bonne dose de nostalgie (Searching for Sugarman consacré à Sixto Rodriguez), tandis que le RnB à paillettes et aux justaucorps échancrés au creux de l’aine saturait l’espace médiatique et faisait exploser les ventes (le trio Jennifer Lopez-Beyoncé-Rihanna). Macy Gray aussi continuait à faire de la bonne musique, mais sans gros plans sur son décolleté.
L’explication est néanmoins peut-être ailleurs que dans la course à l’érotisation. Au lieu d’un entre-deux musical, celui d’une soul un peu modernisée mais pas complètement – soit la nu soul – deux marchés se sont formés : l’un fidèle au style des origines pour un public plus restreint, l’autre plus pop et ancré dans cette course à qui aura la production la plus moderne, qui caractérise l’histoire des tubes depuis Phil Spector et George Martin. À ce jeu là, Jill Scott et Macy Gray ont perdu la bataille du positionnement marketing.
Retours aux sources: les covers
Ces dernières années, Macy Gray a fait des disques de reprises, dont une reprise intégrale d’un des bijoux de Stevie Wonder, Talking Book, qui contient une déroutante et sèche version de Superstition. Puis en 2014, un sursaut ! Enfin un album de chansons originales avec The way, un disque inégal, mais souvent inspiré, qui sonne comme un changement de vie. Elle s’y racontait abimée mais retrouvée, apaisée mais désillusionnée. Au milieu de ce bilan post mid-life crisis (elle a alors 47 ans), elle explique avoir renoncé au couple, même si le sexe lui manque parfois (I miss the sex, morceau magnifique en tout point).
En 2016, elle poursuit ce retour sur soi, et Stripped est peut-être son plus beau disque. Fini la fille délurée qui fait se trémousser sur la piste (Sexual revolution, imparable tube de 2001). Stripped ne ressemble pas à beaucoup de disques qu’on connaisse, hormis peut-être… ceux de Cat Power. Comme cette dernière, Macy Gray mélange sur un même album et dans un même style, reprises d’autres artistes, nouvelles versions de ses propres morceaux, et quelques compositions originales pour compléter. En vrac, on y trouve son premier tube (I try), du Metallica (Nothing else matters), et même du Bob Marley (Redemption song).
Jazz & roots
Stripped est un disque de jazz. On n’attendait pas Macy Gray sur ce terrain, mais elle s’en défend en interview, et explique qu’elle a chanté du gospel toute son enfance. Qui dit jazz n’interdit pas d’être aussi un peu blues, un peu soul, les liens ont toujours été nombreux entre ces genres. C’est aussi un disque très nu. Et ce pour le meilleur. Les disques de neo soul ont en commun d’être très produits, avec un gros travail de studio réalisé sur le son de la voix, les effets de réverbération, ou encore le mix des différentes pistes. On en a un bon exemple avec le caméo de Macy Gray dans le premier Spiderman de Sam Raimi. Le résultat n’est pas nécessairement lourdaud. La version originale de Sweet baby (qui est reprise dans Stripped), par exemple, était fort bien dosée, sans être sobre pour autant.
Sur Stripped, Macy Gray a enregistré comme on le faisait pour les sessions de jazz il y a 60 ans. Et encore, peut-être même plutôt comme le faisaient Elvis ou Johnny Cash à leurs débuts. Avec le même quatuor pour toute la session, jouant “live” autour d’un seul et unique micro central. Impossible ne serait-ce que d’ajuster le volume de l’un ou de l’autre. Aucun réglage possible, tout repose sur l’entente et le dosage des musiciens. Le résultat est d’une finesse rare. Chaleureux, intelligemment orchestré, ce disque est aussi remarquablement interprété.
Parfois la guitare renvoie à celle de Wes Montgomery, parfois à du blues à la Randy Newman. La batterie est inventive sans jamais être envahissante. Voyez comment elle lance avec vigueur Slowly, pour laisser très vite la place à la guitare et au chant, alimentant la dynamique par quelques touches claires aux bons moments. A la trompette, Roney est parfait de discrétion et chacune de ses entrées est réjouissante ; c’est lui qui apporte le plus fortement une ambiance hard bop. Il n’y a sur ce disque que des petits bonheurs. Le swing de I try est parfait pour danser avec sensualité. Et puis il y a Sweet baby. L’originale de 2001 était déjà très bonne, mais dans sa version de 2016, elle devient remarquable, le rythme à peine syncopé s’emparant de vos hanches et la voix vous emportant. Quant à cette trompette, bon sang, cette trompette !
Neuf, comme le nombre de disques désormais publiés par Macy Gray. Comme le nombre de vies de son chat dans la gorge, qui nous caresse plus que jamais les oreilles.