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PS’Playlist décembre 2016 (Laura, Thierry, Esther, Thomas, Christophe)

Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2016 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.

Par Collectif, le 23-12-2016

LAURA FREDDUCCI

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Derrick May – Sueño Latino
1992 – Techno
Talking Heads – Born Under Punches (The Heat Goes On)
Extrait de “Remain in Light” – 1980 – post-punk
Rexy – Alien
Extrait de “Running out of Time” – 1981 – post-punk

Pour résumer 2016, trois morceaux qui s’accordent à merveille avec ce que Derrick May disait de la techno des premières heures : « Notre musique, c’est la rencontre dans un même ascenseur de George Clinton et de Kraftwerk. Elle est à l’image de Détroit : une totale erreur. » Et, parce que les émotions sont toujours entremêlées et que des choses qui vont a priori très mal ensemble peuvent finir par cohabiter pour des résultats magnifiques, on ne peut plus se passer de ces erreurs !

Ainsi de cet improbable morceau qui semble déverser du soleil et des sifflets digne du carnaval de Rio parmi les ruines industrielles, avec une joie qui intègre la conscience de sa désuétude toute proche, et donc une nostalgie instantanée :

… et de ces deux chansons des 80’s qui mettent du groove au plus sombre du post-punk, quand toutes les bases de la pop et du rock sont à rebâtir en faisant éclater les frontières des genres musicaux et des influences géographiques. Ainsi la paranoïa et les récriminations se parent de nappes aériennes ou de lignes de basse funky, pour des résultats des plus élégants.

THIERRY CHATAIN

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Steve Gunn – Milly’s Garden
Extrait de “Way Out Weather” – 2014 – Psyché bulle de savon
Okkervil River – Okkervil River R.I.P.
Extrait de “Away” – 2016 – Indie rock boisé
Spirit – Stars Are Love
Extrait de “Future Games – A Magical-Kahauna Dream” – 1977 – Psyché perché

Comme en 2015, il m’a fallu une musique fétiche à laquelle je puisse me raccrocher, sans jamais me lasser, pour me rassurer, m’apaiser quand le monde autour de moi me fait peur. Pour 2016, ce fut ce songwriter et guitariste discrètement virtuose de Brooklyn qui m’a procuré ma dose d’anxiolytiques par voie auriculaire. Sans réinventer la roue, Steve Gunn imprime sa marque sur une sorte de folk-rock fluide et insaisissable comme le mercure, mais d’une légèreté inverse à celle de cet élément lourd. Une musique caressante parfaite pour rêver, ou prendre le volant et se perdre sur la route, loin des grandes villes, dans une Amérique utopique. De quoi laisser quelque espoir pour la patrie de Donald Trump.

Si la colonne nécrologique a été particulièrement fournie cette année (je me sens toujours orphelin de Bowie), il y a eu aussi quelques renaissances qui m’ont fait chaud au cœur. Bon, Okkervil River, pour être tout à fait honnête, n’avait pas vraiment disparu, à part de mon radar personnel à détecter les bons disques. Une histoire de chemins qui divergent. Sans rancune. Mais, en entamant son nouvel album avec ce titre qui semble enterrer son groupe (presque entièrement renouvelé), Will Sheff ne signe pas son épitaphe, bien au contraire. On y retrouve tout son lyrisme, sa passion tempérée de mélancolie, sa précision dans l’utilisation des mots, cette façon d’utiliser les pleins et les déliés dans une calligraphie élégante qui ne s’interdit pas de faire appel à une instrumentation classique.

Un des plaisirs des vacances à Berlin est d’écumer les disquaires d’occasion. D’autant que les locaux ont toujours eu un goût certain pour les artistes cultes, plus méconnus de ce côté de la frontière. L’occasion de renouer avec des disques chéris, de partir à la recherche du temps perdu. Quitte à ce que le souvenir se ternisse parfois. Mais pas ici. Près de 40 ans après sa sortie en pleine vague punk, cet album dominé par Randy California garde son étrangeté et son excentricité, tout en sonnant plus contemporain. L’ancien compagnon de route de Jimi Hendrix, juste avant sa célébrité, alors qu’il était encore adolescent, joue autant du studio que de la guitare, mêlant sonorités éthérées et effets stéréo, bribes de musique hawaïenne et drones de synthé ou extraits de Star Trek. Sans oublier pour autant d’écrire des chansons. Ce groupe de la première génération psychédélique californienne, épris de science-fiction, jetait ici un pont vers le futur, annonçant les collages et les samples à venir dans un esprit D.I.Y.

ESTHER BUITEKANT

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Benjamin Biolay – Ton héritage
Extrait de “La Superbe” – 2009 – Chanson
Pantelis Thalassinos – Anathema se
Extrait de “Ένα κρυμμένο “αχ”” – 1998 – Musique du monde
Family of the year – Hero
Extrait de “Loma Vista” – 2012 – Folk

Je me rappelle la première fois que j’ai entendu la voix de Benjamin Biolay. J’allais passer mon bac et il chantait Les cerfs-volants. Je l’ai aimé tout de suite, il a comblé un vide et pris place au côté de Miossec au panthéon de mes chanteurs français. Aussi étrange que cela puisse paraître, et alors que j’ai pourtant (beaucoup) écouté tous ses albums, cette chanson-là était passée complètement inaperçue. Une collègue me l’a envoyée en début d’année et elle m’a bouleversée. Peut-être parce que je suis devenue mère et que je m’interroge beaucoup sur ce que nous transmettons à notre fils, ce qu’il a de nous et ce qui n’appartient qu’à lui. Et puis, alors que je n’ai pas vu mon père depuis des années, j’admire les mots de Biolay et cet amour paternel qui resterait pour moi, et à tout jamais, un insondable mystère.

Peut-on aimer une chanson écrite dans une langue qu’on ne comprend pas ? La réponse est évidente, bien entendu. Parce qu’on arrive en général à capter un sens, un mot dont les sons trouvent un écho dans notre langue. Mais c’est aussi le magnifique pouvoir de la musique que d’être capable de nous émouvoir avec une simple mélodie et des mots qui sont comme d’autres notes. Un soir d’été sur les hauteurs de Santorin, je marchais avec ma meilleure amie sous un magnifique ciel étoilé lorsque nous sommes tombées par hasard sur une terrasse surplombant la mer. Il n’y avait personne, juste un barman assis derrière son comptoir. Et puis la voix aux accents déchirants de Pantelis Thalassinos. J’aime réécouter cette chanson parce qu’elle me rappelle notre jeunesse et nos rêves d’alors. Et je souris aujourd’hui en pensant que nous avons toutes les deux réalisé celui qui nous tenait le plus à cœur l’été de nos 25 ans.

Cet été, nous avons voyagé en famille dans le Colorado. Quelques milliers de kilomètres parcourus à travers cette Amérique que j’aime tant. Une contrée sauvage, libre, tendre, accueillante et que cette chanson du groupe Family of the year incarne à merveille. Elle a accompagné la préparation de notre voyage et les textes écrits au retour. Je l’avais découverte en 2014 dans la bande-originale de Boyhood, le film de Richard Linklater qui m’avait alors tant touchée. « And we can whisper things, secrets from my American dreams » dit Joseph Keefe, le chanteur. C’est à ton oreille, mon petit garçon, que je chuchote les notes de notre prochain rêve américain… Encore quelques mois de patience.

THOMAS MESSIAS

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Marvin Jouno – L’avalanche
Extrait de “Intérieur nuit” – 2016 – Axes de symétrie
Vincent Delerm – Super Bowl
Extrait de “Les Amants parallèles” – 2013 – Joe Montana
Philippe Katerine – Compliqué
Extrait de “Le Film” – 2016 – Bande originale de son absence

C’est d’abord une phrase qui m’a tapé dans l’œil. La première de l’album “Intérieur nuit”, la première du morceau L’Avalanche. L’histoire d’un type qui ne dort pas, et qui pour tuer le temps trace des axes de symétrie. C’est tout moi. La suite, bien qu’un rien poseuse, m’a tout autant conquis. Jouno, c’est un Biolay à la petite semaine, un type qui hésiterait encore entre devenir une petite frappe ou s’épanouir en dandy. Un type à la fois sûr de lui et le cul entre deux chaises, écartelé entre ses velléités électro et son tempérament profond de chanteur à textes, tour à tour attachant et tête à claques. Au diable les consensus, la platitude, les gens unidimensionnels. Marvin Jouno, c’est pleurer sur son lit mais aussi danser jusqu’à en mourir. La vie, en somme.

Jusqu’à il y a cinq minutes, j’étais persuadé que cette chanson s’appelait Joe Montana, du nom de ce type imaginaire que tous les garçons vénèrent. Tous, sauf le héros de la chanson de Delerm, qui a fait semblant de partager cette même admiration afin d’avoir sa place dans le cercle. Quand on est un garçon, on se doit d’aimer Star Wars, les grosses voitures et les jeux vidéo. Et quand ce n’est pas le cas, on se sent un peu à part. À l’adolescence, c’est frustrant. On n’est pas invité dans certaines soirées parce qu’on risquerait de s’y ennuyer ou de casser l’ambiance. Rien de bien grave, même si, quand on a 14 ans, ça peut ressembler à une tragédie. Et puis on finit par grandir, par cultiver ses différences. Et par rencontrer LA fille, celle qui vous a repéré de façon un peu miraculeuse, mais sans doute également parce que vos singularités l’ont touchée.

« Tout rapport humain est compliqué. Même avec moi-même, j’ai des problèmes ». Dans ce morceau comme dans l’intégralité de l’album Le Film, merveille minimaliste dans laquelle le chanteur se met à nu sans pour autant parader en slip, Katerine parvient à exprimer en un minimum de mots un maximum de ressentis dont l’exploit est qu’ils sont aussi complexes que simplistes. La vie c’est compliqué, les enfants de moins de 3 ans c’est pas comme nous, les objets vivent plus longtemps que les gens (pas toujours évidemment). Intime et universel, discret mais tapageur, l’album aura marqué mon année 2016, à savoir quelques voyages en train et pas mal de nuits solitaires.

CHRISTOPHE GAUTHIER

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Patti Jo – Make Me Believe In You (Tom Moulton Mix)
Extrait de la compilation “A Tom Moulton Mix” – 1975 – Soul progressiste
O – La rivière
Extrait de “Un torrent, la boue” – 2016 – Pop aqueuse et lumineuse
Beside – Change The Beat (Female version)
Single – 1982 – Usine à scratches

C’est rare qu’un morceau vous suive d’un bout à l’autre de l’année. Je me souviens d’avoir écouté Make Me Believe In You de Patti Jo dans le froid de l’hiver, quand le doute m’envahissait sur mon aventure brassicole ; dans le renouveau du printemps, quand l’espoir revenait et que les commandes commençaient à tomber ; dans la chaleur de l’été, quand les journées n’étaient pas assez longues pour tout faire ; dans le calme de l’automne, au moment de reconstituer le stock. Cette perle soul signée Curtis Mayfield, étirée par le grand Tom Moulton (le pape du remix disco, l’inventeur du maxi 45 tours), est unique par son usage du Mellotron, traditionnellement cantonné au rock progressif, pour créer l’entêtant motif récurrent de flûte et les arrangements de cordes. Cela restera « ma » chanson de 2016 (même en étant sortie il y a plus de 40 ans).

Toucher le fond pour mieux remonter à la surface. Il y a eu des jours, des semaines entières même, où tout me semblait vain, où rien n’allait. Une chanson a accompagné le retour à des eaux moins troubles : La Rivière d’O, alias Olivier Marguerit, en congé de Syd Matters et autres projets pop. Fluidité de l’écriture et des paroles, mélodie magnifique et majestueuse montée en puissance, il n’en fallait pas plus pour me faire venir de la buée dans les yeux. Et reprendre confiance.

Quand tout à coup, une épiphanie. A minima, une prise de conscience. J’étais au volant, du côté du boulevard Haussmann, en route pour la soirée d’anniversaire de Benjamin. À la radio, ce vieux titre hip-hop old school rappé en français, Change The Beat. Même si je l’avais déjà entendu quelques fois auparavant, cette fois-ci, je l’ai véritablement écoutée. Et j’ai enfin saisi pourquoi ses dix dernières secondes sont parmi les plus importantes de l’histoire du hip-hop. En 2016 je me suis senti vide face à mon clavier ; en 2017 je veux retrouver le temps et l’énergie pour raconter l’histoire de ce morceau et de nombreux autres.