PS’Playlist décembre 2016 : les guests (Nathalie, Rachel, Erwan, Henri)
Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2016 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.
Benjamin Biolay – La débandade
Extrait de “Palermo Hollywood” – 2016 – Vague à l’âme et mélodies
Junk Son – True
Extrait de “Beginning, Ending, Pretending” – 2016 – Tout ce que j’aime
Lisa Hannigan – Prayer for the dying
Extrait de “At Swim” – 2016 – Que ma joie demeure
Ha sacrée 2016 ! T’as globalement foutu ma vie en l’air : changement de maison, changement de job, toute ma vie réglée comme du papier à musique depuis 12 ans, terminée, balayée. Est-ce que je suis contente ? Oui finalement oui, mais sortir de ma zone de confort n’a pas été aussi simple qu’il n’y parait. J’ai détesté subir tout ça, je n’ai rien choisi. Faut croire qu’il me fallait un coup de pied au cul pour bouger. Une année 2016 en forme de bouleversement.
Si je devais retenir une chanson pour cette année, ce serait “La débandade” de Benjamin Biolay. J’en suis globalement à l’endroit que décrit cette chanson. “Bientôt le plus tard j’espère, ma douce (ma fille), mon coeur (mon fils) ; appelons ça l’hiver, face à l’indicible, je ferai moins le fier” C’est ce que m’a appris cette année, j’ai touché du doigt mes limites. J’ai toujours aimé Benjamin Biolay, il fait partie de ce qu’il y a de meilleur dans la variété française, ce vague à l’âme et ces mélodies. Il nous ressemble et quel que soit l’album, j’attrape toujours un morceau comme une correspondance.
J’ai été distraite avec la musique, je n’ai pas eu beaucoup d’élans, de coups de coeur. J’ai beaucoup aimé “How to be an human being” de Glass Animals que je trouve très bien foutu, j’ai écouté en boucle Aviation et Pattern de The Last Shadow Puppets ainsi que l’album de Warpaint “Heads up”. Mais celle qui a eu la démarche la plus intéressante cette année c’est bien Solange, la soeur de Beyoncé, qui l’a produite avec “A seat at the table”. Il y a eu beaucoup de morceaux de rap éparpillés dans mes playlists, mais pour tout dire la musique n’a pas rythmé mon année, elle était là comme une vieille copine. J’ai été beaucoup absente, je le sais. Je n’ai été là que pour les urgences avec mes amis. J’ai recherché le silence et la solitude parce que je tapais dans mes ressources.
True de Junk Son a été probablement la chanson que j’ai le plus écoutée. Vous voyez, rien de très gai. Je suis littéralement tombée amoureuse de ce single et l’album est sorti en novembre. Je le recommande, c’est tout ce que j’aime. Pour tout dire, quand Thomas m’a demandé mes trois morceaux 2016, j’ai longtemps hésité avec A hundred ropes de Minor Victories que j’adore. Mais j’ai essayé de prendre des morceaux qui parlaient de mon année.
Et pour finir Prayer for the dying de Lisa Hannigan. C’est LA chanson qui m’a bouleversée. J’ai eu une tendance country en 2016 ou bluegrass si vous préférez. Je ne pipe rien aux genres musicaux, c’est affligeant. Ce morceau me retourne et étrangement m’apaise, mais je sais que tout ça est bien mélancolique. Je n’ai fait aucun effort, je n’ai pas essayé de vous vendre du fun et du pointu, je n’ai pas prétendu, je vous ai parlé de mon coeur. Puisse 2017 être plus léger et comme disent Biolay et Giono : que ma joie demeure…
Portishead – SOS
Extrait de “High Rise OST” – 2016 – Reprise hantée
Lizzo – Good As Hell
Extrait de “Coconut Oil” – 2016 – Pop
Nina Simone – Sinnerman
Extrait de “Pastel Blues” – 1965 – Monument classé
« This is how it goes »
2016 a eu beau bien commencer, l’année se termine sur une note amère. Si le choc du Brexit et ses réverbérations dans l’Union Européenne n’est pas assez catastrophique, l’élection américaine est un rappel déchirant de la montée des politiques d’extrême droite, de la xénophobie et d’un nationalisme blanc dans les soi-disantes démocraties libérales mondiales. Avec cette accumulation de scandales miniatures les uns sur les autres, on a à peine le temps de remonter à la surface pour respirer.
Il est certain que je ne suis pas la seule à dire bon débarras 2016, et à espérer que 2017 sera un successeur moins tyrannique. Bien que je crains que la France ne fasse pas beaucoup mieux, puisqu’au sein des médias et gouvernements, les idéaux intangibles de la liberté et de l’égalité sont utilisés pour supprimer les différences politiques, religieuses et culturelles. C’est dans ces temps où certains d’entre nous vivent sans danger, mais dans des conditions précaires (même si nos voisins, collègues ou amis doivent faire face à des futurs incertains) qu’on cherche des moyens d’avancer. Pour moi (et sans aucun doute beaucoup de femmes américaines qui pensaient se réveiller un 9 novembre pour voir un moment historique), j’ai dû passer par les habituelles étapes du deuil et de l’incertitude. Comment est-ce qu’on continue d’avancer quand nous n’avons pas le privilège de penser « après tout, ces politiques ne m’affecteront pas ».
Peut-être que pour certains d’entre vous, c’est de la vieille nouvelle. Mais pour les autres, voici ma playlist de fin d’année, ma boîte à outil pour surmonter décembre.
Première étape: le chagrin.
La récente reprise d’une des plus grandes chansons pop d’ABBA par Portishead, SOS, n’est pas seulement un appel à l’aide mélancolique. C’est aussi un hommage à Jo Cox, membre du parlement britannique, assassinée par des nationalistes blancs cet été.
L’étape suivante devrait être la colère, mais le vrai défi est de trouver le moyen d’avancer, et de prendre soin de soi par la même occasion.
Mon remontant, c’est Good As Hell de Lizzo. On s’attache les cheveux, on enfile notre proverbial équipement de combat, et on trouve des moyens de consolider nos communautés. Si l’on n’est pas en mesure de prendre soin de soi, des relations avec ceux qu’on aime, alors on ne s’améliorera jamais.
La dernière étape – et toujours la plus difficile – c’est l’action. Je n’ai beau pas encore avoir de réponses à comment améliorer nos systèmes politiques et sociaux, Nina Simone était une visionnaire. Sinnerman restera à jamais ma « power song », et Nina Simone nous rappellera toujours que le changement est possible.
LCD Soundsystem – Christmas will break you down
Single de Noël – 2015 – Vive le vent
Radiohead – Exit music (for a film)
Extrait de “OK Computer” – 1997 – Fitter happier
Lady Gaga – Come to mama
Extrait de “Joanne” – 2016 – Que ma joie demeure
Cette chanson a eu un an le jour de Noël, et lors de sa révélation surprise le 25 décembre 2015 elle semblait annoncer une année 2016 pleine de promesses puisqu’étant celle de la reformation inespérée de LCD Soundsystem. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Bowie est mort deux semaines plus tard, à partir de là 2016 a pris l’allure d’une dégringolade permanente et de plus en plus raide, et à leur petite échelle même James Murphy et son groupe nous ont déçus. Leur tournée s’est faite sur la base d’une même setlist de quinze titres reconduite quasiment à l’identique de concert en concert, façon « best of » pour remplir le tiroir-caisse sans audace, sans variation, sans nouveauté ; et l’album évoqué dans le texte d’accompagnement de Christmas will break you down est resté lettre morte. Un an plus tard, la mélancolie procurée par cette chanson est donc toujours de mise. Heureusement, sa beauté ne s’est pas non plus atténuée, poussant à écouter en boucle cet îlot doux-amer orphelin (rattaché à aucun album, joué dans aucun concert) et son crescendo final porteur d’espoir.
Ceux qui ne déçoivent jamais, sur scène ou en disque, ce sont eux. J’aurais pu choisir n’importe quel titre de leur nouvel album “A moon shaped pool”, si proche de la perfection – avec une petite longueur d’avance pour la si bien nommée True love waits, enfin offerte officiellement plus de vingt ans après sa première présentation en concert. Mais quand je les ai (re)vus en festival cet été, le morceau qui m’a le plus bouleversé était une autre chanson datant de la même année 1995 : Exit music (for a film). Tout le génie artistique du groupe s’affirme dans cette capacité qu’ils ont eue à sublimer une commande de chanson pour la bande-originale d’un drame amoureux adolescent (Roméo et Juliette) en un appel universel à la révolte, et ce quels que soient la période, le lieu, la lutte. Loin de se faner le morceau semble gagner en véhémence avec le temps – tout récemment la série Westworld l’a compris, en en faisant le soutien musical du soulèvement de ses personnages d’androïdes contre leurs créateurs et esclavagistes humains. En quatre minutes Exit music (for a film) exprime mieux que tout discours ou image le poids insupportable de l’oppression, qu’elle soit intime et politique, si brutale qu’elle mène aux portes de la mort (ce moment où la chanson semble pousser son dernier soupir, avec le vers « Sing us a song / to keep us warm ») ; puis l’irrépressible rébellion qui resurgit de cette impasse, portée par une rage (« We hope that you choke, that you choke ») capable de renverser une montagne, un ordre tyrannique, un père fouettard. Le choc de recevoir tout cela pour la première fois en live était extraordinaire.
Un rayon de soleil pour finir. Jusqu’à cette année, et cet album Joanne, le personnage de Lady Gaga, son style et sa musique tous les deux surproduits n’étaient pas ma tasse de thé. Débarrassée de ses masques et artifices et ainsi rendue à elle-même, à son (deuxième) prénom et sa voix nue (magnifique), elle a éclairé par surprise ma fin d’année. Joanne déborde d’un bout à l’autre d’une générosité et d’une gaîté communicatives, portées par des arrangements et des rythmes marquant un retour aux sources « classiques », insurpassables, de la soul et de la pop. Come to Mama, qu’a composé pour elle Father John Misty, est le sommet de cet album : un digne rejeton de All you need is love, dans ses paroles (« Everybody’s got to love each other » dès le premier vers, « The only prisons that exist are the ones we put each other in » plus loin) et sa composition d’hymne lumineux. Joanne est sorti juste avant l’élection de Donald Trump, littéralement la Némésis de tout ce dont Lady Gaga se fait la porte-parole. C’est un nuage noir qui obstrue le rayon de soleil ; mais ces gens-là peuvent bien prendre pour quatre ans le pouvoir qui les obsède tant, les chansons telles que Come to Mama seront toujours là après leur chute, pour animer nos oreilles et nos cœurs.
Leonard Cohen – Traveling light
Extrait de “You want it darker” – 2016 – Hallelujah
Paolo Fresu, Richard Galliano et Jan Lundgren – Kristallen den Fina
Extrait de “Mare Nostrum II” – 2016 – Animaux nocturnes
Abel Korzeniowski – Table for two
Extrait de la bande originale de Nocturnal Animals – 2016 – Amère douceur
Les deux premières semaines de 2016, sont décédés David Bowie, Pierre Boulez, René Angelil, Otis Clay, et bien d’autres… On est autant accompagnés par les proches qui partagent notre quotidien que par ces figures un peu lointaines, artistes ou autres, qui ponctuent certaines périodes de la vie. Leonard Cohen, lui, a fait ses valises en fin d’année. Avec You want it darker, il a livré son dernier album. Sa Marianne étant partie, il ne restait plus au poète chanteur beaucoup de choix: la muse disparue, il est devenu fantôme après une dernière œuvre testamentaire. Chacune des chansons de cet album est un concentré de noirceur et d’élégance, entre lumière et ténèbres. Je n’étais pas emballé par les derniers albums du Canadien, trouvant que les chœurs prenaient trop de place. Et je ne retrouvais pas la magie de Suzanne ou la simplicité de Famous Blue Raincoat. Alors, sans trop en attendre, j’y ai prêté une oreille distraite à sa sortie (on ne rate pas de rendez-vous avec un vieux compagnon, même si on sort à chaque fois déçu de la rencontre). Depuis la première écoute, les mélodies de ce quatorzième et dernier album me hantent. Dans Traveling Light, le bouzouki et le chant grec dessinent un pont vers une période solaire de sa vie sur l’île d’Hydra. So long, Leonard.
J’étais passé complètement à côté de ce deuxième opus de Mare Nostrum à sa sortie en mars. Il aura fallu la diffusion sur TSF Jazz d’un concert du trio pour que je m’arrête devant ma chaîne Hifi comme hypnotisé. C’était un de ces soirs où on se rend compte que la nuit tombe trop vite. Je regardais par la fenêtre, incapable de sortir de ma rêverie. Il y a de l’ampleur et de la douleur dans Kristallen den Fina, quelque chose de sourd et intense qui vous prend aux tripes et vous emmène en voyage.
Après A single man, le compositeur accompagne à nouveau Tom Ford dans son étude des passions humaines. Thriller cruel, récits enchâssés, frontières poreuses entre réalité et fiction, Nocturnal Animals s’avère aussi esthétisant que redoutable. Magnifique coup de poing, la vision de ce film ne laisse pas indifférent. On aime ou on déteste. Table for two accompagne la dernière séquence : après quelques mauvais choix et un désir de vengeance, que reste-t-il ? Une sensation douce-amère que l’on voudrait garder à tout jamais.