PS’Playlist décembre 2016 (Lucile, Anthony, Guillaume, Nathan)
Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2016 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.
Florent Marchet – Le terrain de sport
Extrait de “Gargilesse” – 2005 – Chanson
Harry Nilsson – Without her
Extrait de “Pandemonium Shadow Show” – 1967 – Bande originale du film Victoria
Niagara – Pendant que les champs brûlent
Extrait de “Religion” – 1990 – Pop Rock
Depuis les premiers jours, il met de la musique dans ma vie. C’est son univers doux et solaire qui m’a touché avant que j’en explore la profondeur et la beauté. Et bientôt 7 ans après le premier baiser, au dessus d’une table de bar du quartier latin, il continue de me surprendre. A la fois plus sombre et plus lumineux qu’il n’y paraît. C’est un matin comme un autre, moi dans la baignoire, lui dans la cuisine et puis Florent Marchet. « Rien n’est sublime » et puis tout l’est un peu, à travers ses yeux, à côté de lui. L’aigre doux du quotidien, les cris et les larmes, de peine ou de joie. C’est la Vie qu’on partage.
De cette année 2016, j’ai envie de retenir les sentiments. L’émotion après ce film raté à Cannes, rattrapé dans les salles, une comédie que je croyais légère et qui s’est avérée plus puissante et plus complexe que ça. Et le challenge que j’ai décidé de relever avec cette amie. Elle, femme à la gravité légère, une présence à faire tourner les têtes, toujours une cigarette au bord des lèvres et cette grâce innée des femmes grandes et sensuelles. Elle est arrivée avec son « j’ai quelque chose à te proposer » et puis il y a eu les heures passées, sur son canapé ou en terrasse, à mener à bien ce projet fou, tout en débriefant nos vies respectives. Une relation en miroir qui m’a fait devenir une autre personne, moi, en mieux. Cette année n’aurait définitivement pas été la même without her.
Des années après avoir été présentés, je ne l’ai rencontré vraiment qu’aux prémices de 2016. C’est donc une histoire de hasard ou de destin. Lui, un mystère. Tellement impossible à définir qu’il m’a très vite fallu une chanson pour l’incarner. Ça a été Niagara, les mots brûlants et l’apocalypse. Depuis il y a eu des centaines de morceaux écoutés ensemble, les zones d’ombres éclaircies et la lumière, même. Les mots aussi. Quelque chose de profondément organique et simple, évident. Comme si il avait fallu ces années pour nous construire, nous donner du corps et des aspérités, avant de pouvoir vraiment nous connaître. Il n’y a donc jamais eu de sensation de temps perdu, juste une urgence à vivre le présent, maintenant.
Foals – A knife in the ocean
Extrait de “What Went Down” – 2015 – Rock expressif
Pixies – Motorway to Roswell
Extrait de “Trompe Le Monde” – 1991 – Chef d’oeuvre
Preoccupations – Memory
Extrait de “Preoccupations” – 2016 – Post-rock ténébreux
Un album à infusion lente, apprécié à sa juste valeur au fil des écoutes. Yannis Philippakis porte haut sa voix, dont la sonorité reste coincée quelque part entre la gorge et le nez. Une sorte de Chris Martin qui n’aurait pas cédé aux sirènes du show-bizz et de la facilité… “What Went Down” est bourré de stéroïdes, volontiers martial et menaçant par moments, tout en laissant une plaisante impression d’apesanteur. Finesse et puissance : la quintessence d’un bon vrai groupe de rock anglais, de ceux que j’ai très vite envie de voir en concert…
Les Pixies à Paris. Enfin les voir en live, après les avoir écoutés et écoutés et écoutés et écoutés… Leur réputation sur scène est peu flatteuse, et le line up à 75% d’origine laisse toujours craindre une déception. Amputé de Kim Deal, les Pixies sont-ils les Pixies ? Et les voir trop tard, avec ce côté Stars 80 / Rolling Stones, est-ce bien raisonnable ? Qu’à cela ne tienne, l’occasion ne se représentera peut-être pas. Je n’ai pas été déçu : malgré un minimum syndical en terme de communication avec le public (pas un mot, en fait…), la set-list est quasiment parfaite et le son irréprochable concocté au Zénith rend pleinement hommage à la richesse incroyable de leur répertoire. Seul regret : l’absence de Motorway to Roswell que je me permets donc de replacer ici pour combler ce léger vide.
Contrairement aux Pixies, Preoccupations (ex- Viet Cong) déçoivent en live. Dans un Trabendo prêt à fêter le bruit, les canadiens livrent une prestation trop brouillonne, sorte de déluge sonore mal maîtrisé qui dessert leurs compositions. Pas de quoi toutefois faire oublier la qualité de leur album, notamment ce Memory d’une puissance folle – la basse de Matt Flegel magnifie le morceau – dont la structure en deux phases ferait presque regretter qu’il n’ait pas été coupé en deux chansons distinctes. Un morceau que j’écouterai certainement longtemps.
Katy Perry – Rise
Extrait de “Rise” – 2016 – Voix à chanteuse
Chance the Rapper – No Problem
Extrait de “Coloring Book” – 2016 – Gospel et ton seau
Solange – Cranes In The Sky
Extrait de “A Seat at the Table” – 2016 – Soul sextée
Les voix, ce qu’elles provoquent, ce qu’elles évoquent. Leur mystère. Souvent, des voix puissantes se sont élevées dans les airs pour me rappeler à grand renfort sonore quelque chose que j’aurais oublié, mais sans moyen que je me souvienne jamais quoi. C’est assez intangible. Les chanteuses à voix, depuis Whitney et Mariah, me parlent ainsi sans rien me dire. Ici donc, je n’ai trop cure de ce dont Katy cause, même si elle aurait évoqué avoir en elle cette chanson depuis des années, depuis peut-être ses débuts improbables dans un Nashville Jesus Rock. Toujours est-il que sa voix m’appelle et que mon oreille répond, comme si j’étais soudain possédé par un démon mignon.
C’est sans doute un acte de rébellion involontaire, mais ce titre du Chicagoan frais émoulu s’est imposé à moi comme le tube de l’été… en automne. Je le connaissais déjà avant, mais il est des chansons comme parfois des lieux avec les livres, l’association se fait a posteriori selon des règles qui nous échappent. Bref, ce titre mi-gospel mi rap-méthode Coué, dont les trilles extatiques fleurent bon le sable et le farniente, je les savoure encore aujourd’hui dans le froid de la pierre parisienne. Et puis quoi, c’est bien boulevard Voltaire que j’avais découvert il y a dix ans Lil Wayne – ici en featuring comme au Tour de France on dirait qu’on déroule –, lors de son premier concert européen. Hollygrove-sur-Seine.
Voici une preuve éclatante qu’en étant la sœur cadette de Queen B (tout en donnant au besoin du coup de poing sur Jay-Z pour la défendre) et en choisissant un registre musical proche du méga-carton de Lauryn Hill en 1998, il est possible de briller par soi-même. Et si c’était de la mauvaise éducation consistant à voir des oiseaux, là où il n’y a que des tonnes de métal d’engins de chantier, que tout cela provenait ? Ce morceau de Solange établit pour moi une connexion instantanée, sans fil ni parole, avec mon moi de vingt ans et avec mes rêves d’alors et depuis. Trois accords de basse plus tard je ne suis plus là, ou plutôt j’y suis comme au premier jour. Verre à moitié vide vs Verre à moitié plein.
Art Blakey & the Jazz Messengers – Crisis
Extrait de “Mosaic” – 1961 – Grand Jazz
Larry Levan – Can’t Shake Your Love
Extrait de “Genius of Time” – 2016 – House Ancestrale
Omar S – Ah’ Revolution (Poli Grip For Partials Nik Mix)
Extrait de “THE BEST” – 2016 – Musique intègre
2016, année de crises. Pas besoin de les énumérer. Alors on se rattrape à l’idée romantique que les périodes de crises donnent souvent naissance aux oeuvres révolutionnaires. Que les contextes les plus complexes et terribles aident les étincelles artistiques et les coups de génie. Voici deux illustrations et un espoir en trois chansons qui m’ont accompagné toute l’année.
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1961, année où les Freedom Riders embarquaient dans les bus à travers les États-Unis pour combattre la ségrégation. Avant Selma, avant « I have a dream ». 1961, année où Art Blakey leur rend hommage avec un album, Freedom Rider. Le Jazz a toujours été politique, même quand l’engagement est implicite. Ligne de basse dantesque, liberté totale de Wayne Shorter et Freddie Hubbard sur la syncope légendaire d’Art Blakey. La révolution est musicale, mais discrètement, elle dépasse la musique. Pourtant, les Jazz Messengers n’ont jamais été ouvertement engagés. Pour moi, Crisis incarne cette idée simple que la musique exprime le contexte et les luttes dans lesquels elle nait.
Le 12 juin 2016, 49 personnes ont perdu la vie à Orlando pour la simple et bonne raison qu’elles faisaient partie de la communauté LGBTQ. 30 ans plus tôt, le gigantesque Larry Levan offrait à cette communauté un rendez-vous hebdomadaire fédérateur. Il préfigurait la house music par la même occasion. Là encore, la musique de Levan semble dépourvu de tout engagement. « One hit wonders » et ligne de basse ravageuse, beats simple et refrains fédérateurs. Mais n’oublions jamais que créer cette musique, la jouer, la partager était bien plus qu’un engagement. C’était un cri de ralliement, un cri du fond du coeur pour pouvoir exister et être respecté. Alors en 2016 plus que jamais, continuons d’écouter le grand Larry, et gardons en tête le contexte dans lequel cette musique aujourd’hui dépourvue de conviction est née.
Alors en 2016, année de crise, où est l’engagement ? Où est la révolte ? Elle est dans le Hopelessness de Anohni, elle est dans le Blonde de Frank Ocean, elle est chez tous ces artistes issus de minorités et de frange. Elle est aussi chez Omar S, ce detroiter ancien ouvrier Ford. Ici, la révolte est silencieuse. L’art d’Omar S existe en dehors des circuits industriels, en dehors du modèle libéral, en dehors de l’idée même de profit. Omar S a l’air ignorant, mais il est intègre. Il fait sa musique le plus sincèrement possible, dans son petit studio. Vous voulez acheter son nouvel album ? Envoyez-lui un email, il vous répondra « ok!!! est-ce que tu peux me le rappeler lundi prochain?!!! ». « Ah’ Revolution » est une longue complainte qui évoque aussi bien « Black Lives Matter » que « grabbing that ass ». 100% sincérité. La révolution (musicale) viendra des franges, comme toujours.