01. Max Richter – Mrs. Dalloway : War Anthem (Alexandre Mathis)
Extrait de “Three Worlds : Music from Woolf Works” – 2017 – Dépression bis
Il a parfois été reproché à Max Richter de n’être qu’un sous Philip Glass. Accusation d’autant plus ridicule aujourd’hui que Richter sort un album s’inspirant de la lettre d’adieu de Virginia Woolf. Quand The Hours, biopic palot sur l’écrivaine sort au début des années 2000, Philip Glass est à la BO (pas ce qu’il a fait de mieux mais passons). Les approches de Glass et Richter n’ont rien à voir. Je ne dis pas qu’il faut occulter la filiation partielle mais à l’écoute de Three Worlds : Music from Woolf Works, il y a beaucoup d’échos de John Adams, Arvo Pärt ou Steve Reich. Ça serait aussi oublier sa veine plus électro (présente dans Orlando : Modular Astronomy par exemple) qui généralement s’exprime plus dans ses BO pour Ari Folman (Valse avec Bachir, Le congrès). Mais surtout Richter a remis au goût du jour le lyrisme triomphant et premier degré. J’en prends pour témoin Mrs Dalloway : War Anthem, épuisant, terrassant, éprouvant et magnifique de saturation lyrique. Attention, c’est dangereux pour sa santé mentale.
02. Bruce Springsteen (avec The Castiles) – Baby I (Guillaume Augias)
Extrait de “Chapter and Verse” – Circa 1966 – Incipit qui pète
Sorti sur le disque qui accompagne l’autobiographie de Bruce Springsteen tout juste parue, ce titre est sans doute le plus ancien que l’on ait retrouvé du Boss avant qu’il ne soit le Boss. Rien d’outrancièrement original dans la composition, les arrangements ou l’interprétation de ces deux petites minutes de rock adolescent par un groupe qui prit son nom en référence à une marque de gel capillaire. Mais je ne peux m’empêcher d’être ému à son écoute tant tout est en place, déjà. Les influences tout d’abord, Beatles et Chuck Berry, après le choc causé par Elvis et avant celui causé par Dylan. Une certaine façon, ensuite, d’entamer la chanson pied au plancher pour ne plus la lâcher. Et puis cette voix qui est déjà si particulière, car, n’ayant rien de particulier, elle tire sur la corde pour aller chercher les tripes.
03. R.E.M. – Welcome To The Occupation (Anthony)
Extrait de “Document” – 1987 – Panthéon
Fêtant ses 30 ans cette année, “Document” est tout autant un album charnière qu’indispensable dans la carrière de R.E.M. : le dernier chez IRS avant le passage chez Warner, le premier produit par Scott Litt (qui restera leur producteur jusqu’au départ de Bill Berry après “New Adventures in Hi-fi”), le premier également d’une consécration publique qui placera R.E.M. parmi les formations les plus importantes des années 90. Et si l’on raisonne en format vinyle, “Document” propose également ce qui restera comme la meilleure face de toute leur discographie – la première en l’occurrence – qui s’ouvre sur “Finest Worksong” et se boucle sur “It’s the end of the world (as we know it)”. Ce dernier titre sonne étrangement contemporain : alors qu’en 1987, Michael Stipe stigmatisait dans “Document” l’Amérique des années Reagan, la consécration de Donald Trump ressemble également à une fin du monde (tel qu’on le connaissait)… Et que dire alors de “Welcome to the occupation” ?
04. Emptyset – Descent (Benjamin Fogel)
Extrait de “Borders” – 2017 – Experimental
Emptyset est un trou noir, un truc qui absorbe toute la matière pour ne jamais la recracher. Leur nouvel album « Borders » ne laisse à nouveau pas passer la lumière. C’est un disque jouissif dans son approche de la claustrophobie. Les beats sont sombres comme la mort et le bruit omniprésent. Chaque son qui tombe laisse derrière lui une trainée tortueuse dont on ne sait pas si elle constitue un résidu où l’intérêt même de ce qu’on écoute. Ça gratte, ça titille, ça intrigue et c’est somptueux.
05. Sallie Ford – Screw Up (Isabelle Chelley)
Extrait de Soul Sick– 2017 – rock’n’roll
Une intro avec une batterie empruntée à une production de Spector, un orgue Farfisa et la voix de Sallie Ford : comment résister à ce genre de combinaison magique ? Hâtivement étiquetée rockeuse rétro à cause de son look et de son penchant pour les clins d’œil à Buddy Holly, la chanteuse et guitariste de Portland est bien plus que ça. Si elle explore les racines du rock et leur rend hommages, elle sait les dépoussiérer et les transposer au 21e siècle comme dans cette chanson aux airs de confession, où elle avoue s’être collée une biture de compét’ alors qu’elle essaie de tout bien faire pourtant. C’est touchant, drôle et désarmant. S’il n’y avait pas cette batterie qui tape un peu fort, j’en ferais la bande-son de chaque lendemain de soirée difficile…
06. The Sadies – There Are No Words (Thierry Chatain)
Extrait de “Northern Passages ”– 2017 – psyché country
Le quatuor formé par les frères Good, guitaristes, songwriters et chanteurs, demeure un des secrets canadiens les mieux gardés depuis 20 ans déjà. Enfin, sauf de leurs pairs, comme Neko Case, Jon Spencer, Andre Williams ou John Doe, qui en ont fait ponctuellement leur backing band. Virtuoses, mais plus créateurs d’ambiances et évocateurs de grands espaces – voir l’aurore boréale de la pochette – qu’adeptes des démonstrations ostentatoires, les Sadies passent à la moulinette country tradi, folk-rock psyché, garage et punk selon l’inspiration. Des éléments familiers, mais auxquels ils insufflent imagination et personnalité inimitable, avec des textes volontiers cryptiques. Ici, par exemple un rock violent et distordu se trouve joué sur un rythme de valse pour s’achever tout naturellement en country planante. Un heureux métissage roots plutôt qu’une créature de Frankenstein disgracieuse.
07. Einar Stray Orchestra – Glossolalia (Marc Mineur)
Extrait de “Dear Bigotry ”– 2017 – Héroïsme scandinave
Comment être ample sans être ampoulé, avoir de l’ambition sans faire de la musique de stades ? C’est une équation que presque aucun groupe n’est arrivé à résoudre et les exemples navrants ne sont que trop nombreux. C’est sans doute pour ça que le troisième album du Norvégien Einar Stray (le second en tant qu’Einar Stray Orchestra) est un petit miracle d’équilibre, de plaisir même pas coupable. On promet les frissons, les finaux longs en bouche, une lame du fond prête à fondre. Et on tient nos promesses…
08. Oumou Sangaré (feat. Tony Allen) – Yere Faga (Christophe Gauthier)
Extrait de “Mogoya” – 2017 – Afrobeat
À la première écoute, à l’aveugle et sans aucune info, je pensais que c’était un homme dont la voix planait sur un rythme familier. J’avais en partie tort. La voix, c’est celle d’Oumou Sangaré, diva malienne qui signe là son retour discographique après huit ans sans nouvel enregistrement, femme forte aux textes engagés, notamment sur les droits des femmes. La batterie, c’est celle, inimitable, de Tony Allen, le pilier rythmique inoxydable de Fela. Un balafon discret, une basse rondouillarde et quelques éclaboussures de guitare acide pour compléter le tout : c’est beau, aérien et solaire, jonction rêvée entre l’Europe et Bamako.
09. Albin de la Simone – Le Grand Amour (Thomas Messias)
Extrait de “L’un de nous” – 2017 – Dépression
Le meilleur album d’Albin de la Simone jusqu’ici : son premier, Albin de la Simone, dans lequel il déployait avec brio un univers complètement frappadingue, fait de piranhas, de bébés au Maroilles et de clous plantés dans les mollets. Le tout au gré d’une poésie mélancolico-bizarroïde se moquant bien de la métrique et des rimes. Depuis, l’artiste était rentré dans le rang de façon un peu ennuyeuse. Avec Le Grand Amour, il opère un vibrant plongeon au pays du spleen qui, sans renouer avec la folie des débuts, m’a permis de retrouver l’homme écorché et complètement unique dont j’étais si croque-love il y a près de 15 ans.
10. The Flaming Lips – Yoshimi battles the pink robots part 1 (Erwan Desbois)
Extrait de “Yoshimi battles the pink robots”– 2002 – Robots rêveurs
« Les Flaming Lips, il faut absolument les voir live ». Et les conseils de copains de copains dont on fait la connaissance à l’occasion d’une soirée du nouvel an, il ne faut pas hésiter à les suivre. Car ce concert début février du groupe de vétérans que sont les Flaming Lips (je ne faisais pas encore de phrases intelligibles qu’ils faisaient déjà de la musique ensemble, en 1983) était effectivement extraordinaire, l’un des plus fous, intenses et jubilatoires auxquels il m’a été donné d’assister. Toutes les décisions et orientations prises par Wayne Coyne et ses acolytes sont guidées par l’exubérance, et exécutées à la perfection : lancer les ballons multicolores et la machine à confettis dès la première chanson (pourquoi personne n’y a pensé avant ?), démultiplier les éléments de décor et accessoires ajoutant un véritable spectacle scénique en complément de la musique (jusqu’à mettre Coyne sur le dos d’une licorne le temps d’une chanson, There should be unicorns, tirée de leur nouvel album), offrir une reprise parfaite de Space Oddity. On ressort de ces deux heures un sourire béat aux lèvres, avec des étoiles dans les yeux et les oreilles, en se disant que dorénavant tous les concerts au Bataclan devraient prendre exemple sur ce modèle. Et pour n’en retenir qu’une chanson pour la playlist, ce sera Yoshimi battles the pink robots (part 1) de l’album éponyme, parce que tout ce qui rend les Flaming Lips si généreux et enchanteurs y est regroupé en cinq minutes : une mélodie entêtante, des arrangements remplis de détails inventifs, des paroles à la fois ingénues et fortes, un souffle épique qui vous emporte sans jamais vous faire retoucher terre.
11. Mohamed Lamouri & Groupe Mostla – Tgoul maaraft (Arbobo)
Extrait de “Les jours heureux” – 2017 – les compiles La Souterraine
Mohamed Lamouri est une légende locale. Très locale. Microscopiquement locale. On peut entendre son chant bouleversant sur la ligne 2 du métro, à Paris, et parfois le soir dans de rares concerts. Deux sites musicaux lui ont consacré un portrait, mais ceux qui donnent réellement un écho à son art, ce sont les inclassables du collectif La Souterraine, bienfaiteurs des micro-artistes et de nos oreilles reconnaissantes. On a tellement pris l’habitude d’entendre sa voix mi-plaintive mi-apaisée à travers les crissements des wagons de métro et les conversations des passagers, que la belle et chaude production de ce morceau avec des musiciens de gros calibre nous cueille à froid. Mais la modestie de son exercice quotidien, avec le frêle clavier de poche qui l’accompagne toute la journée, ne doit pas condamner Lamouri à rester dans un cadre “lo-fi”. Sur un autre enregistrement, on peut l’entendre dans sa version la plus sobre et la plus nue. Que ce soit avec le son aigrelet d’une boîte à rythme cheap, on entouré de la crème de ses collègues musiciens, Mohamed Lamouri reste le même homme, le même chanteur sensible qui nous touche au coeur.
12. Xiu Xiu – Get Up (Nathan)
Extrait de “Forget”– 2017 – Prodige constant
Jamie Stewart continue de me surprendre et de me conforter. À chaque fois, chaque nouvel album, chaque nouvelle composition a un élément de surprise et le plaisir indescriptible de se sentir chez soi, en terrain connu, dans un environnement amical. Sombre, certes, mais tellement expressif et sincère. Forget, leur 13ème album, est la synthèse parfaite du génie de Stewart. Dense, romantique, incroyablement bien produit (par Angela Seo, John Congleton et Greg Saunier), écrit, épique, bouleversant. Petite et son refrain vous donneront des hauts le coeur. Ce Get Up vous hantera, et notamment ces deux vers:
During the rape of everything decent
The flickering flames impressed me
Avant de l’acheter et d’aller voir Xiu Xiu en concert pendant leur tournée, vous pouvez écouter Forget ici.
13. The Pop Group – She Is Beyond Good And Evil (Laura)
Extrait de “Y” – 1979 – post-punk
Comme tous les meilleurs groupes de post-punk, le Pop Group essaie de réinventer le rock en le perfusant aux rythmes funk, à l’inventivité du free jazz et à l’ampleur sonore du dub. Ça foisonne d’idées qui partent dans tous les sens mais c’est surtout super, super efficace. « I hold you like a GUN ! »