01. Rebecca Schiffman – Tips For Conquering Fear Of Flying (Isabelle Chelley)
Extraits de “Rebecca Schiffman”– 2016 – folkie pop de charme
“J’ai une vie géniale, je ne peux pas me plaindre, il y a sûrement de pires façons de mourir”. C’est ce refrain, pris en sandwich entre deux couplets pétillants, qui m’a séduite à l’instant où j’ai découvert la chanson sur une radio en ligne. Je ne connaissais pas Rebecca Schiffman, qui a trois albums à son actif (dont ce dernier produit par Money Mark), créé des bijoux et peint. J’ai loupé quelque chose, puisque la new-yorkaise basée désormais à Los Angeles a le don de composer des chansons capables de faire sourire ou de toucher, avec l’élégance mélancolique de Belle & Sebastian ou le côté farfelu d’une Kymia Dawson. Il n’y a rien à jeter sur ce troisième album, à écouter dans la foulée de cet extrait réjouissant.
02. Mark Lanegan Band – Beehive (Anthony)
Extrait de “Gargoyle” – 2017 – The Voice
2017 réserve quand même quelques bonnes nouvelles : Mark Lanegan is back. Des décennies de carrière, auréolée de guests légendaires (UNKLE, Queens of The Stone Age, Soulsavers…) sur des albums mythiques, mais une carrière solo parfois en demi-teinte. Quelques albums auront marqué sa discographie (l’exceptionnel “Whiskey for the Holy Ghost” en 1994 ou “The Winding Sheet” un peu plus tôt, qui abrite une reprise de “Where did you sleep last night” avant que Nirvana ne s’en empare sur son album “MTV Unplugged”) mais ses dernières publications ont vécu discrètement… Mais assurément, avant de découvrir si”Gargoyle” contribuera à une vague sortie de son anonymat, affirmons avec certitude que Mark Lanegan est l’une des plus grandes voix du rock.
03. Léo Ferré chante Guillaume Apollinaire – Marie (Guillaume Augias)
Extrait de “Léo Ferré chante les poètes” – 1973 – Poème à peine
Les poètes chantés par Léo Ferré furent nombreux mais parmi eux Guillaume Apollinaire garde pour moi une place à part, depuis “Le Pont Mirabeau” jusqu’à “L’Adieu” en passant par cette mise en musique de “Marie”. Le poème magnifie l’amour mélancolique de l’auteur d’Alcools pour l’aquarelliste Marie Laurencin, avec qui il vécut brièvement face à l’actuelle Maison de la Radio qui à l’époque n’existait pas – genre de clin d’œil anachronique dont je raffole. Les inflexions de la voix de Léo ne sont jamais aussi belles et touchantes que sur les diérèses des trois rimes “silencieux” / “cieux” / “délicieux”. Quand il chante “le fleuve est pareil à ma peine”, ce sont tout à la fois les éléments, les mots et les sentiments qui dansent entre mes oreilles. Ferré se fait ici véritablement le prophète d’un Apollinaire devenu ce que lui-même nommait “le Christ inférieur des obscures espérances”. Et à la question finale du poète “Quand donc finira la semaine” il me paraît évident et doux que Léo suspend sa réponse, toujours “et encor que sais-je”.
04. Pulp – The fear / 05. Joe Goddard – Music is the answer (Erwan Desbois)
Extraits de “This is hardcore” – 1997 – Panic attack post-britpop ; et “Electric lines” – 2017 – Album solo d’une partie de Hot Chip
Double programme :
La cage dans laquelle ils voudraient nous enfermer (The fear)
L’espoir d’une issue par où s’en extraire (Music is the answer)
06. Talaboman – Safe Changes (Benjamin Fogel)
Extraits de “The Night Land”– 2017 – House
L’espagnol John Talabot aurait pu éternellement continuer sa carrière en solo, tant il a les ressources mélodiques et le background musical pour faire évoluer à lui seul l’histoire de la house. Pourtant son association avec le suédois Axel Boman pour former ce Talaboman n’a rien d’un side project offrant un moment de détente entre deux œuvres plus conséquentes. Au contraire même : Boman lui confère un nouvel élan et lui permet de retrouver une joie et le souci de l’efficacité, rendant ce The Night Land à la fois jouissif et touchant. Ici ce ne sont pas les beats qui définissent les morceaux, mais les plages de synthés qui les accompagnent ; le tout sans jamais endolorir l’album.
07. The New Tony Williams Lifetime – Mr Spock (Christophe Gauthier)
Extrait de Believe It! – 1975 – Fusion brûlante
À l’annonce du décès du guitariste Allan Holdsworth, je n’ai eu qu’une envie : réécouter ses enregistrements avec Tony Williams. Durant cette courte phase jazz-rock d’à peine deux ans, le Britannique ne joue pas encore des mélodies alambiquées et mathématiques, comme il le fera dans les années 80 et 90. Au contraire : aux côtés du bourreau des baguettes et ex-sideman de Miles Davis , son jeu est fluide, puissant, presque accessible ; il se permet même quelques riffs bien lourds. On trouve même quelques enregistrements pirates de cette formation, encore plus puissants que les enregistrements studio, où le groupe joue comme si sa vie en dépendait. Cette musique, c’est de la lave.
08. Golden Teacher – Party People (Laura)
Extrait de Party People – 2014 – Party band
Golden Teacher, c’est un champignon hallucinogène, mais c’est aussi une bande d’Écossais dont la musique part dans tous les sens, avec des polyrythmies africaines refroidies à grands coups de synthés pointus, et le fantôme de David Byrne qui rôde sous la boule à facettes. Le mélange des genres comme on l’aime.
09. Andrés – Jazz Dance (Nathan)
Extrait de “New for U” – 2012 – Hymne de Detroit
Andrés passe sous le radar. Pourtant, il est l’homme de l’ombre derrière la plus grande chanson de Moodymann (Lyk U Used 2), il est sur tous les bons coups sortis de Detroit depuis des décennies. Et surtout, en 2012, il a sorti l’hymne ultime, la définition de la house detroitienne: la ligne de basse incandescente de Jazz Dance. Gloire au géant Andrés.
10. Bu Kolthoum – Madad (Arbobo)
Extrait de “Madad” (autoprod) – 2016 – Rap mystique
De la musique syrienne actuelle, un seul nom ressort régulièrement: Omar Souleyman. Sa dabka électronique, souvent hyper rapide et dansante, fait le tour des festivals les plus réputés d’occident. Bu Kolthoum, originaire de Damas, est lui aussi un musicien en exil. Producteur, rapeur, ses morceaux sont ô combien plus lents, et ses influences viennent aussi bien des USA que des mixtures torturées de DJ Krush. Madad est peut-être son titre, avec Al Sud Al Judod (syrian Is The Nu Black), dans lequel il impose le plus une atmosphère, grave, sourde et indéfinissable.
11. MC Solaar – Gangster moderne (Thomas Messias)
Extrait de “Paradisiaque” – 1997 – Madeleine
L’élection présidentielle m’aura non seulement donné un début d’ulcère, mais elle aura aussi réveillé pas mal de souvenirs de ce que j’étais il y a quinze ans, lorsque le FN est arrivé au second tour pour la première fois (et lorsque cela choquait encore les gens). En avril j’ai opéré une drôle de régression au cours de laquelle j’ai réécouté des albums auxquels je n’avais quasiment pas touché depuis le début du siècle. Pas mal de trucs vraiment honteux. Et puis je suis remonté encore un peu plus en arrière, vers mes années collège, lorsque j’étais un premier de la classe sans fantaisie ni personnalité (évitons les blagues sur Macron). Deux choses m’ont sauvé : d’abord les films, ensuite la musique. J’ai passé des mois à ne pas retirer “Paradisiaque” de mon Discman, l’écoutant en boucle pour mieux décortiquer les textes de MC Solaar. Meilleur morceau de tous, ce Gangster moderne (évitons les blagues sur Fillon), dont l’ambiance sombre et cinématographique m’a de nouveau fait battre le coeur, pile vingt ans après sa sortie.