D’après une histoire vraie : Polanski l’indigne
Présenté en sélection officielle (hors compétition) le 27 mai 2017. Durée : 1h50. Sortie le 1er novembre 2017.
Sur le papier, l’adaptation du best-seller de Delphine de Vigan par Roman Polanski avait tout pour mettre l’eau à la bouche des cinéphiles. Mais si on attendait du grand Polanski, feutré et malsain, on obtient un film du niveau de Crime d’amour, le triste dernier film d’Alain Corneau. Comment Polanski a-t-il pu fauter pour gâcher un tel matériau de base ? C’est probablement par péché d’orgueil, tant le cinéaste s’obstine à mélanger sa vie et sa triste défense à une histoire qui n’a rien à voir avec son affaire.
Outre la pauvreté de l’adaptation du roman, lequel se retrouve expurgé (par un certain Olivier Assayas) de toutes ses subtilités et zones d’ombre, le cinéaste s’acharne à jeter à l’écran une brochette d’acteurs, actrices et même journaliste (avec une apparition d’Elisabeth Quin) que l’on imagine comme soutiens du pauvre artiste malmené par l’opinion. C’est une démonstration de force, limpide et triste. Polanski ne s’embarrasse pas de subtilité.
Il méprise la montée de l’angoisse, dresse dès le départ le portait d’une Eva Green glaçante. Elle apparaît très vite comme dangereuse et agressive, jamais charmante, jamais caressante. Le livre de Delphine de Vigan racontait une étouffante danse reptilienne, un tango fatal qui était à la fois une réflexion sur la difficulté de l’écriture après un succès, mais aussi sur la toxicité d’une amitié féminine (sujet plus classique mais toujours efficace). Polanski délaisse l’érotisme latent de cette relation. Il oppose une femme fragile à une femme déterminée, faisant de ces personnages de telles caricatures que cela en devient insultant pour ses actrices (qui sont capables de beaucoup plus de profondeur de jeu).
Là où devrait se créer une tension à la limite de la terreur, D’après une histoire vraie ne suscite qu”une forme de rire empli de malaise. C’est ne rien comprendre aux femmes, à l’intimité de ces deux personnages et au besoin de regard et d’attention de Delphine dans le film, que de limiter leur relation à cette lutte binaire, sans zone grise. Aucune des deux n’est vraiment croquée, développée ; aucune des deux n’a de vie, de profondeur ou d’intérêt.
Là où ce film sans saveur devient profondément détestable, c’est lorsque le cinéaste en fait la vitrine de ses idées et, en quelques mots à peine voilés, alourdit son film d’une charge contre l’opinion publique, les polémiques attisées par les réseaux sociaux, la violence de ceux-ci. Il se pose en victime. Il attaque et méprise.
Ce serait mentir que de ne pas dire que, pour ma part, j’ai une réserve concernant le cinéma de Roman Polanski. J’admets les chefs d’oeuvre, j’admets le talent. Mais je sais aussi que lui faire de la publicité et ajouter une place de plus, ma place, pour ses films en salles c’est valider son comportement personnel. Je suis allée voir ce film, présenté hors compétition, en me disant que quoi qu’il arrivait je n’écrirais pas un mot dessus. Pour ne pas lui offrir mes mots, mon attention, la lumière que, pour l’instant, il ne mérite pas. Mais je suis sortie de la salle sans pouvoir me contenir. Il fallait écrire. À l’écouter, Polanski est une victime. Avec ce cinéma qu’il nous donne à voir, son talent n’est plus une défense. Son film est alourdi de sa culpabilité, de ses sentiments pesants et nauséabonds. Comment créer et apporter une vision dans ces conditions ? D’après une histoire vraie est l’histoire vraie d’un cinéaste qui s’est perdu à force de s’obstiner à fuir la justice et à faire pleurer sur son sort. Le résultat est aussi médiocre qu’indigne.
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