01. Bertrand Burgalat – Cœur Défense (Guillaume Augias)
Extrait de “Les choses qu’on ne peut dire à personne” – 2017 – Moquette sonore
Je vous livre ici mon dilemme car j’ai jadis travaillé dans un immeuble de bureaux flambant neuf – et même, pas entièrement terminé –, édifice tout de verre et d’acier portant précisément de nom de “Cœur Défense”. J’ai donc connu ce rutilant cauchemar moderne. Mais c’est un dilemme car, sans doute par goût de la provocation gratuite, j’ai toujours aimé les chantres des causes désespérées. Et force est de reconnaître qu’ici, avec le détachement un brin égrillard qu’on lui connaît, Bertrand Burgalat traduit à merveille l’atmosphère torve entourant pareille débauche en col blanc. Cette rumba compressée dans une boîte à rythme a bien l’ankylose des journées de travail à rallonge ; l’humour en plus, mais un humour à froid, climatisé.
02. Amanda Palmer & Edward Ka-Spel – The Changing Room (Marc Mineur)
Extrait de “I Can Spin A Rainbow” – 2017 – Match Made In Heaven
Et si les collaborations les plus inattendues étaient celles qu’on attendait le moins? On n’a en tout cas pas anticipé celle du vétéran batave Edward Ka-Spel, tête pensante des prolifiques Legendary Pink Dots (une discographie totale à trois chiffres…) et de la chanteuse des Dresden Dolls. Le résultat est assez proche de ce que lui fait mais avec des cordes magnifiques, une entente très cordiale et occasionnellement un morceau qui se tord et prend à la gorge.
03. BNQT – Real Love (Thierry Chatain)
Extrait de “Volume 1.” – 2017 – Pure pop for past people
Pour faire vite, BNQT (prononcer Banquet) se présente comme les Travelling Wilburys du pauvre. Un supergroupe né de l’imagination de Eric Pulido, le leader de Midlake, et qui réunit ses potes Jason Lytle (Grandaddy), Alex Kapranos (Franz Ferdinand), Fran Healy (Travis) et Ben Bridwell (Band of Horses). Le propos : s’amuser avec des chansons façon pop des années 60-70. Et ça marche. Particulièrement ici, avec une mélodie et des arrangements comme si Nick Lowe se la jouait George Harrison en lançant une œillade appuyée à ELO. Ce n’est pas ça qui fera avancer le schmilblick, mais c’est léger et frais comme un sorbet. Donc parfait pour l’été.
04. Cigarettes After Sex – John Wayne (Anthony)
Extrait de “Cigarettes after Sex” – 2017 – Éthéré
Pardonnez ce choix presque mainstream ou trop unanime pour être honnête… Mais c’est avec sincérité que je tombe sous le charme de cet album de dream ballads, un rien plombées par le ton général globalement mélodramatique. La voix déroutante de Greg Gonzalez, assez peu dosée en testostérone, amplifie la douceur qui émane de cet album. Un disque qui s’écoute au petit matin, au crépuscule, ou à tout moment situé quelque part entre ombre et lumière.
05. Laurel Halo – Jelly (Benjamin)
Extrait de “Dust” – 2017 – Electro
Le nouvel album de Laurel Halo est surprenant, mais ce n’est pas une surprise en soi, puisque la surprise est justement au coeur du processus de création de l’américaine. Après les indispensable Quarantine (2012) et Chance of Rain (2013), Laurel Halo, toujours localisée à Berlin, remet à nouveau les compteurs à zéro. Bourré de jazz et de rythmiques venues d’ailleurs, Dust est à nouveau un album de métamorphose qui se construit en opposition aux précédents. Alors qu’elle proposait auparavant une musique introspective, elle embarque dans son univers plein de musiciens, tels que Julia Holter, Eli Keszler, Michael Salu. D’une richesse époustouflante, l’album recèle de subtilités qui ne se découvrent qu’au fil des écoutes.
06. Jorge Lopez Ruiz – La Ciudad Vacia (Christophe Gauthier)
Extrait de “Bronca Buenos Aires” – 1971 – Big band avec de vrais morceaux de free dedans
La logique aurait voulu que je mette “Angels / Your Love” de Mr Jukes, vu le nombre de fois que j’ai écouté ce morceau ces dernières semaines. Ce qui m’a retenu ? Le choeur d’enfants (qui devrait être interdit depuis Another Brick In The Wall) et les vocaux de BJ The Chicago Kid, dans la deuxième moitié du morceau et qui le rendent bancal. Reste ce groove entêtant… et ce ne fut pas une mince affaire de trouver sa source. Car c’est sur un disque publié en Argentine au début des années 70 qu’il faut aller le chercher, une oeuvre du contrebassiste Jorge Lopez Ruiz inspirée par un mouvement de révolte populaire survenu quelques années plus tôt. Sur ce disque qui fera saliver les amateurs de rare grooves, se téléscopent des rythmes funky et jazzy, des sections carrément free et des poèmes en prose décrivant la colère citoyenne d’alors. Une intéressante curiosité.
07. Blow – Fall in deep (Arbobo)
Extrait de “Blow” – 2017 – Electro-disco
Douceur et disco, joli mélange. Quelque part en note de bas de page du dossier de presse doit traîner l’expression “tube de l’été”, et vu l’efficacité des riffs de guitare sur les cordes aiguës, des claquements de doigt qui donnent envie de frotter les siens, ce serait légitime.
Mais il y a encore mieux, dans ce titre: son clip. Ses réalisatrices Elsa & Johanna, photographes, vidéastes, emportent avec elles l’univers passionnant et attachant, déroutant parfois, qui leur a valu d’être programmées récemment dans plusieurs festivals. L’être et le paraître, les identités, multiples, cachées, Elsa & Johanna n’ont pas fini de vous séduire.
08. Arcade Fire – Creature Comfort (Erwan Desbois)
Extrait de “Everything Now” – 2017 – (The Suburbs + Reflektor) * les années 80
Il y a dans Creature Comfort les vers suivants : “Assisted suicide / She dreams about dying all the time / She told me she came so close / Filled up the bathtub and put on our first record”. Arcade Fire vient effectivement de là, de cette étiquette réductrice de groupe pour romantiques rebelles et mal dans leur peau, accolée à l’occasion de leur magnifique premier album Funeral, et dans laquelle ils ont failli se perdre au moment de leur deuxième disque, Neon Bible. Win Butler y paraissait au bout du rouleau, dans les chansons et sur scène. Depuis, les albums d’Arcade Fire se font de plus en plus libres, exubérants, dansants, et de ce qu’on a pu déjà en entendre (dont ce Creature Comfort) le Everything Now à venir poursuivra dans la même direction. Peut-être parce que pendant qu’on danse, on arrive à ne plus penser à tout ce qui va mal en soi et dehors.
09. Omar S – The Shit Baby (Nathan)
Extrait de “Thank U 4 Letting Me Be Myself” – 2013 – The Shit, Baby
Dans mon imagination, je vois Omar S fier de lui, après avoir composé un monument de house music, imbibé de soul et de jazz. Confronté à la question majeure “comment nommer un si bon morceau”, et en manque d’inspiration, Omar S, toujours fier de lui, s’exclame: “But this is the shit baby!”. Et voilà. Le pire, c’est que cette histoire que je fabrique de toute pièce pourrait être totalement véridique, quand on connait un peu Omar S.