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Tout comme ce fut le cas pour le festival de Locarno en milieu d’été, le site Festivalscope a mis en ligne à la fin du mois d’août une quinzaine de films présentés dans le même temps au festival de Venise. Des œuvres projetées au sein de la sélection Orizzonti, l’équivalent vénitien du Certain Regard cannois. Certains de ces titres ne sortiront probablement jamais dans les salles françaises, d’autres ont déjà une date de sortie. Il y a de toute façon plus d’une bonne raison de dresser un petit bilan de ma série de visionnages, hélas loin d’être exhaustive. Tous les films finalement distingués au palmarès n’ont pas été diffusés par le site, probablement à la demande de leurs distributeurs. Mais la qualité de certains des longs-métrages non récompensés donne à croire que, sauf jury incompétent, la sélection Orizzonti 2017 était plutôt une bonne cuvée.

On pourra commencer à en juger dès le 27 septembre avec la sortie d’Espèces menacées, nouvelle réalisation de Gilles Bourdos. Ce cinéaste insaisissable est à la tête d’une filmographie ausi courte que désarmante : deux drames intenses et méconnus (Disparus et Inquiétudes, tous deux avec Grégoire Colin), puis une adaptation de Guillaume Musso (Et après, avec Romain Duris et Evangeline Lilly) et un biopic d’Auguste Renoir. Espèces menacées voit Bourdos revenir vers la tonalité de ses deux premiers longs, qui faisait basculer ses personnages dans une noirceur poisseuse pour mieux traiter de thématiques pas franchement guillerettes. Dès l’introduction, Espèces menacées nous happe : dans la chambre d’hôtel de leur nuit de noces, deux jeunes mariés (Alice Isaaz et Vincent Rottiers, magistraux) s’amusent à se faire deviner des personnalités en les imitant. On pressent le basculement de ce jeu anodin avant même qu’il ne survienne. Et il survient. La suite, c’est un enchevêtrement d’histoires sombres dans lesquels les femmes sont souvent avilies et méprisées. Violence conjugale, folie, amours possiblement amorales : en adaptant plusieurs nouvelles de Richard Bausch, Bourdos et son scénariste Michel Spinosa (Anna M) créent assez brillamment une accumulation de petits malaises et de grosses angoisses. Seule la construction de l’ensemble nous échappe un peu, la façon dont Bourdos tente de déconstruire les règles du film choral rendant le tout légèrement déséquilibré.

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Espèces menacées (France)

Prévu pour le 13 décembre, Les Bienheureux propose lui aussi une construction chorale pour mieux marquer notamment les différences de perception entre les générations. Mené par Sami Bouajila, Nadia Kaci et quelques jeunes interprètes prometteurs (dont Lyna Khoudri, distinguée en tant que meilleure actrice), ce film au titre si ironique propose, sur une soirée et une nuit, de suivre d’une part un couple d’algérois fêtant ses 10 ans de mariage dans la morosité, et d’autre part leur fils et ses amis, écartelés entre leurs problèmes existentiels et l’envie de profiter de la vie. C’est l’amertume qui prédomine dans ce film écrit et réalisé par Sofia Djama : celle de ces adultes qui regrettent au moins en partie de ne pas avoir quitté Alger pour aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Bien installés dans la société (lui est gynécologue et prévoit d’ouvrir une clinique), ils sont pourtant conscients d’être un peu passés à côté de leur vie, d’avoir raté cette part de liberté qui leur tendait les bras en France ou ailleurs… mais quitter sa terre natale est difficile, et le faire sans culpabiliser est impossible. Le bilan est terrible, et l’idée que la génération suivante puisse également passer à côté de sa vie rend le film poignant et haletant.

S’il fallait ne dégager qu’une seule thématique de cette sélection Orizzonti, ce serait sans nul doute la difficulté d’être parent, avec un regard tout particulier sur la condition des pères, qui sont rarement à la hauteur même quand ils souhaiteraient se sacrifier pour leur progéniture. Le daddy loser de West of sunshine en est assez représentatif : de facture classique mais extrêmement bien exécuté, le film de l’Australien Jason Raftopoulos donne à voir une journée de la vie de ce type qui répare des voitures, participe à des trafics, et doit ce jour-là foncer d’un bout à l’autre de l’ouest de Melbourne afin de régler des dettes. Qu’il soit contraint de s’occuper simultanément de son fils pré-ado, dont il n’a la garde qu’épisodiquement, est évidemment une contrainte supplémentaire. Sans trouver d’excuses à cet anti-héros un peu naze, Raftopoulos parvient néanmoins à le rendre attachant et à créer un sentiment de compassion navrée à son égard… et surtout à l’égard de son fils, désormais assez âgé et mûr pour constater que son père n’est pas le type le plus brillant du monde. Vif, sec mais pas dépourvu de tendresse, West of sunshine soulève des questions intéressantes sur la paternité, notamment quand ce père amateur de voitures finit par réaliser que son fils aux cheveux longs n’aime pas spécialement les loisirs habituellement attribués aux garçons. De quoi relever un film plus fin qu’il n’y paraît.

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West of sunshine (Australie)

Sans surprise, le héros de Krieg, film allemand de Rick Ostermann, est un père, filmé alternativement à deux moments de son existence. Dans le présent, on le voit vivre en ermite dans un chalet de haute montagne qu’il vient d’acquérir, seul. Régulièrement, des flashbacks de sa vie d’avant viennent expliquer pourquoi il en est arrivé à cette situation d’infinie solitude : anti-militariste comme son épouse, dévasté par l’engagement volontaire de leur fils dans l’armée et son départ pour l’Afghanistan, Arnold passait ses journées à se ronger les sangs en attendant des nouvelles de celui-ci. Le problème de Krieg, c’est que ses retours en arrière sont nombreux et explicatifs alors que la situation était claire dès le départ. La partie montagneuse, bien plus pénétrante, réussit son coup en agrémentant le deuil du héros (car c’est évidemment de cela qu’il s’agit) d’une dose de cinéma de genre, un individu tapi dans l’ombre faisant preuve d’une hostilité croissante envers celui qui n’aspirait qu’à la tranquillité. Hétérogène donc peu satisfaisant.

Moins appuyé et plus envoûtant, l’Australien Strange Colours évoque lui aussi cette thématique de la paternité en filmant la visite d’une jeune femme à son père, qui travaille dans une mine d’opale. Il vit là dans le dénuement le plus total, à l’image de ces autres hommes présents comme lui pour extraire cette si belle pierre. Le scénario coécrit par la réalisatrice Alena Lodkina se limite à cela : un voyage sur une terre aride et silencieuse à défaut d’être sereine, les dialogues se faisant eux aussi assez rares. C’est beau, c’est simple et c’est finalement habité, parce que l’aura du lieu est amplement suffisante pour créer une ambiance rare.

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Strange Colours (Australie)

L’Islandais Under the tree s’ouvre sur ce qui n’est pas non plus le meilleur père (ni le meilleur mari) de l’année : chopé en train de se masturber devant l’ordinateur familial, sur lequel il regardait une sextape réalisée avec une amie de sa femme, le personnage principal est viré de chez lui et privé de visites à sa fille. Côté pile, le film raconte son combat désordonné et enragé pour retrouver ce qu’il estime être ses droits de père ; côté face, on observera ses parents, chez qui il a trouvé refuge, mener une guerre sans merci contre leurs voisins à propos d’une histoire d’arbre gênant. Difficile de comprendre pourquoi le réalisateur Hafsteinn Gunnar Sigurðsson a mêlé ces deux histoires qui semblent aussi miscibles que l’huile et l’eau. Mais parce que la mise en scène est précise et exigeante, et parce que le jusqu’au boutisme du scénario le rend fascinant, Under the tree réussit son pari : celui de nous offrir un crescendo inattendu, du calme des premières secondes au déferlement de colère des dernières séquences. Ou l’ultime preuve que, êtres humains ou biens matériels, ce qu’on estime posséder peut finir par mener à la folie ou à la destruction.