Entretien avec Christophe Regin, pour la sortie de La Surface de réparation
Sortie du film le 17 janvier 2018.
Vos précédents courts-métrages se situent aussi dans le monde du football, et aussi avec des personnages qui se trouvent dans l’ombre des clubs – gestion des joueurs, agents etc. Des histoires d’hommes qui se trouvent au bord du terrain, du club, de la légalité.
Ma passion du foot vient de mon enfance puis le cinéma est venu se greffer. Mes premières sources d’inspiration, pour mon premier court Adieu Molitor comme pour La Surface de réparation, dans lequel on retrouve ce même type de personnage, sorte de gardien du temple d’un club, en coulisses, ce sont des joueurs avec lesquels j’ai parfois joué à la fin de mon adolescence. Ils avaient passé quelques temps en centre de formation pour finalement être rejetés, et avaient gardé une sorte de blessure. Ils n’arrivaient pas totalement à faire le deuil d’une carrière à laquelle ils auraient pu prétendre. Du coup, ils orbitaient comme ça dans une sorte de no man’s land : ils étaient chez leurs parents, faisaient des petits trafics, c’étaient tous des fans du PSG – ils essayaient de vendre des maillots. Je les observais de loin, je pouvais donc aussi me raconter pleins d’histoires. Je pense que c’est venu de là. Quand j’ai choisi de poursuivre l’idée de faire des films dans le milieu du foot – parce que ces personnages qui ne trouvent pas leur place, sorte de losers magnifiques, m’intéressent beaucoup au cinéma en général, des gens qui se retrouvent un peu à la lisière de leur vie. Le moment où il faut passer à autre chose. C’est quelque chose que j’avais aussi un peu traité dans mon film court, Avec amour, sur une actrice X en fin de carrière ; que faire quand la vie qu’on a rêvée se termine ? Ces sujets m’intéressent, et il se trouve que le foot est un bon endroit – pour mon plaisir d’abord et parce c’est un milieu qui correspond bien à ce que je cherchais.
Le film semble très précis, documenté. Son inscription dans le territoire permet de suivre les trajectoires et mouvements intimes des personnages.
Je me suis paradoxalement peu documenté, d’abord parce que c’est un monde très fermé. Les quelques accès que j’ai essayé d’actionner m’ont été bouchés. J’ai fréquenté quelques joueurs, mais on ne parle pas vraiment de ce qu’il se passe. Finalement, j’ai un peu brodé sur des choses que je savais – qu’on m’avait racontées, plus concrètes – des choses lues dans la presse. Et beaucoup d’intuition aussi ! J’avais au tout départ inventé cette idée d’un personnage qui surveille des joueurs, et j’ai vu quelques temps plus tard qu’un joueur en Italie portait plainte contre son club parce qu’ils avaient engagé quelqu’un pour le surveiller – le mec sortait trop ! J’avais un souci de vraisemblance bien sûr, comme cela avait existé, je pouvais le raconter. C’est donc un peu un mélange entre mes intuitions, mes envies et la réalité.
Autre chose me nourrit, c’est mon milieu, celui du cinéma dans lequel on retrouve beaucoup de gens qui veulent devenir réalisateur, comédien ou chef opérateur et orbitent dans un espèce de no man’s land parce que tout le monde n’y arrive pas, ou pas comme il le souhaiterait. Et vit de petits boulots, de fiches de lecture par exemple pour prendre mon cas. Ou d’écriture pour la TV. J’ai fait aussi de la production. Ce milieu m’a beaucoup inspiré pour écrire ces personnages.
Vous filmez au cœur de ce milieu, à hauteur d’homme, dans le stade, côté tribune, autour du stade, sur les terrains d’entrainements, dans les cafés de supporters.
Je me disais que si je faisais un film sur ce milieu, j’irais dans des endroits qu’on n’a pas l’habitude de voir. En l’occurrence, tous ces endroits cités et ces personnages, dans l’ombre, dont on ne parle pas ou très mal. Je souhaitais aussi montrer la dramaturgie autour des matchs, des résultats, des enjeux que tout le monde connaît et qu’on ne voit pas spécialement au cinéma parce que finalement la dramaturgie d’un match de foot est tellement puissante que la reproduire au cinéma ne marchera jamais. Je souhaitais aussi vraiment filmer ces personnages à hauteur d’homme, être avec eux. J’avais envie de ne filmer que les supporteurs à la fin, être avec eux. Filmer des gens qui vont au stade, qui sont contents et chantent ! J’avais envie de filmer ça, effectivement de façon assez naturelle.
On pense au cinéma de Pialat par exemple dans cette façon d’inscrire vos personnages dans un milieu, quels sont les films qui vous ont marqué pour la réalisation de votre film ?
Pas de façon directe, mais plutôt détournée, l’un des premiers films qui m’a donné envie de ça, c’est Magic Mike de Steven Soderbergh. C’est un film mainstream, très réussi qui raconte l’histoire d’un go-go dancer qui veut être autre chose que ce qu’il est mais il n’aura pas forcément la place qu’il souhaite. En gros. J’aimais aussi les films américains de la fin des années 70, début 80 qui racontaient les anti-héros, en tout cas des gens qui avaient du mal à trouver leur place dans la société – Cinq pièces faciles de Bob Rafelson ou Fingers de James Toback. La fièvre du samedi soir aussi ! On le réduit toujours à un film sur le disco mais c’est un super film sur des gars de classes populaires qui essaient de devenir autre chose, et qui en même temps ne s’en donnent pas les moyens. Vraiment un film intéressant. En France, l’inspiration la plus forte est Police de Maurice Pialat – film que j’aime énormément. Il raconte un milieu – la police – et le fait à la Pialat, on est proche de l’humain, des rapports entre les gens. Il y a une espèce d’enquête, un peu compliquée, dont les tenants et aboutissants ne sont pas vraiment importants, parce qu’il met ça de côté en fait. Et Goodbye south goodbye de Hou Hsiao-Hsien est un film qui m’obsède – sur des gens qui tournent en rond. Ils veulent aller en Chine faire du business, et en même temps tournent en rond à Taïwan. Ce sont quelques sources. En terme de personnages, d’ambiance et de trajectoires de personnages, ce sont des films qui m’ont inspiré.
Comment s’est passée l’écriture ?
Il y a plusieurs niveaux, c’est compliqué à expliquer. Je souhaite en premier lieu, en tant que spectateur, être surpris. Toujours, dans les films, les personnages ont une trajectoire, disons assez prévisible, on voit à peu près la direction qu’ils prennent. C’est le chemin qu’on prend pour le raconter qui importe. J’ai l’impression que dans mon film, dont le tempo est plutôt lent, modéré, avec quelques accélérations, globalement on est toujours un peu surpris par la scène qui suit. Pialat est avant tout un énorme scénariste : il se passe toujours des choses dans ses films, même s’il s’agit de l’histoire d’un père et de sa fille, ou d’un couple ou juste Le Garçu, on est toujours pris par l’action. C’est pas uniquement parce que les comédiens sont bons, on est porté par l’histoire. Quand j’ai commencé à travailler avec mon chef opérateur, en terme de mise en scène, on cherchait à montrer ce personnage qui évolue dans un univers familier – décors faits de boîtes de nuit, d’alentours de stade, de bars de supporters, et en même temps, décrire une ambiance un peu ouatée, un peu fantasmée – comme si c’était déjà de l’ordre du passé. Quand Salomé entre dans sa vie, il y a quelque chose de presque fantasmatique. J’avais envie de jouer un peu sur les deux tableaux.
Le personnage principal, Franck Gastambide, dans un mélange de force et de fragilité incarne parfaitement les enjeux politiques du film – la place qu’on occupe dans la société.
Je l’avais remarqué quand il faisait Kaïras shopping sur Canal + – je trouvais ça drôle et original. Trois personnages qui essaient de faire leur business tout en reprenant les codes de la TV. C’était décalé, drôle. Y’avait en plus pleins d’animaux. Au delà de ça, je trouvais qu’il y avait dans son physique quelque chose qui correspondait à mon personnage. Dans ce qu’il dégageait. J’ai continué à le suivre, j’écrivais parfois en pensant à lui pour le personnage, tout en me disant qu’il était loin de moi. Il était à la TV et moi dans le cinéma français où généralement on va chercher les acteurs classiques, trentenaires. Plus attendus disons. Le directeur de casting, en lisant le scénario, pense tout de suite à Gastambide, et il lui envoie. Il a aimé. Le projet lui parle en fait ! Je vois tout de suite chez lui ce qui entre en résonnance avec le personnage : il a quelque chose à la fois d’assez fort, magnétique, physique et en même temps, il y a une blessure chez lui – une sorte d’ado qui a un peu galéré avant d’arriver. C’est quelque chose qui me plaisait beaucoup. Il a commencé comme dresseur de chien, au final, il réalise Taxi 5 ! ça n’a jamais été facile pour lui, il s’est battu. Dans mon travail avec lui, on discutait beaucoup du personnage. Il comprenait très bien – on a fait des répétitions, des choses classiques, mais tout de suite, il a compris le personnage. Dès les premiers essais filmés, il tenait son personnage. C’est aussi un homme de challenge ; les scènes où il faut se battre, les scènes où il pleure, les scènes d’amour, tout était un peu nouveau pour lui, il a pris ça à bras le corps. Du coup, il l’incarne super bien. Comme c’est pas un acteur classique, il a mis ce qui venait de lui. Quelque chose d’assez juste transpire de sa performance. Les deux régimes – le milieu du foot et la trajectoire d’un héros classique – sont dans un même mouvement à la fois les marqueurs esthétiques du film et effectivement parfaitement incarnés par Franck Gastambide.
Ce qui est toujours intéressant pour un premier film, c’est qu’on y met plein de choses ; nos maraudes, ce qui nous touche intimement, des sujets et thématiques qu’on souhaite traiter, pleins d’influence différentes. J’avais vraiment envie de réaliser un film qui soit à la fois intime mais aussi populaire. Le film pose des questions morales très communes : comment on se comporte dans la vie ? Quelle place on occupe ? Que faut-il sacrifier pour devenir autre chose ? Je souhaitais que le film soit à l’intersection de plusieurs envies. De plusieurs genres presque.
Recueillis à Paris par Quentin Mével, le 9 janvier 2018