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Avec L’anti-atome, Franquin à l’épreuve de la vie, Nicolas Tellop, journaliste entre autre à la Septième Obsession et chez Carbone, applique la grammaire de l’essai culturel à l’univers en apparence fantasque et divertissant d’André Franquin – papa des personnages emblématiques de la bande dessinée belge que sont Spirou, Fantasio, Gaston, et le Marsupilami –, en prenant comme point de départ la résonnance entre son travail et l’exposition universelle de 1958 à Bruxelles, où le public découvrit pour la première fois l’Atomium, immense structure en fer représentant un atome de cristal.

Tellop cherche à extraire des gags de Franquin une pensée politique, ainsi qu’une réflexion morale

Tellop cherche à extraire des gags de Franquin une pensée politique, ainsi qu’une réflexion morale. Il s’agit de dévoiler combien, derrière la plaisanterie, se cache une véritable réflexion sur l’évolution du monde et la question du progrès à l’heure de l’après-guerre et de la reconstruction. Il montre notamment comment son œuvre « esquisse l’envers du décor de l’Expo 58 dont la grandeur est un simulacre qui se nourrit de fractures », et dénonce le futur préfabriqué alors vendu aux hommes. Au travers des aventures de Spirou et Fantasio, il développe le concept de « l’esthétique de la miniature », faisant du gout de Franquin pour le minuscule une prise de position sociale contre le capitalisme, et une éloge de ce qui reste à taille humaine, conférant à l’homme des repères dans lesquels il peut s’épanouir. Dans la même logique, il montre dans Modeste et Pompon que « le design se retourne contre le héros et révèle son double jeu ».

Au travers d’une succession de réflexions brillantes, Tellop fait de Franquin un sujet d’étude passionnant, chantre du style Atome, mouvement défini par les les écrits de Joost Swarte  en 1977, qui imbrique le concept de la « Ligne Claire » avec les réflexions sur le futur et le design propres à l’époque. Mais surtout, Tellop interroge la nature même de l’essai culturel.

Les monographies oscillent toujours entre deux pôles. D’un côté, la retranscription exacte des intentions de l’auteur·e : il s’agit de déterminer quel était son propos, à coup de recherches, d’entretiens et d’analyses. De l’autre, la réinterprétation de ce même propos au regard de l’histoire de l’art et des évolutions socio-politiques, avec pour conséquence d’extraire l’œuvre des mains de son auteur pour lui donner une résonance, qui n’existait pas au moment de sa création. Tellop opte définitivement pour la seconde approche, mais en prenant soin de clarifier sa démarche.

Tellop cherche du sens. Il ne démystifie pas. Au contraire, il mystifie, dans le bon sens du terme

Ainsi, au lieu d’expliquer que le dessin de Franquin relève d’influences américaines, d’une passion sincère pour le design et d’un goût pour l’utilisation décorative des objets, indépendamment de tout sens sociologique, Tellop cherche du sens. Il ne démystifie pas. Au contraire, il mystifie, dans le bon sens du terme. Il cherche à créer du mythe, conférant, grâce à son recul, une aura nouvelle à son œuvre. Il explique bien que « l’Atome est la catégorisation a posteriori d’une impulsion spontanée, née au sein d’une rédaction de bandes dessinées et développée sans véritable concertation ». Il ne cherche jamais à réécrire l’histoire, mais à donner de la densité à celle-ci, à dévoiler les répercussions d’une œuvre qui dépasse les ambitions initiales de son auteur. « Tous les propos tenus précédemment ne prétendent pas faire système. Leur but ne consistait d’ailleurs pas vraiment à définir le style Atome » explique-t-il. Nous ne sommes pas dans un texte dogmatique, mais dans une invitation à réfléchir avec lui au sens caché des choses.

Entre la démystification et la mystification, les deux approches se valent et se complètent. Mais ici, où la deuxième prévaut, il y a une certaine jouissance à voir les pièces s’imbriquer, à découvrir cette morale de la miniature, élaborée à contre-courant du progrès, à lire cette critique du futur où « L’individu est devenu un zombi errant dans les faubourgs de la modernité ». S’y dresse le portrait d’une humanité épanouie, parce que naïve et lobotomisée par la société de consommation, qui ne se rend pas compte que la modernité et ses objets la transforment en esclaves, lui créant des problèmes pour mieux leur répondre. « L’obstacle qui vient remédier à l’obstacle », comme le dit Tellop.

Franquin, à travers le regard de Tellop, redonne avec ses bandes dessinés du sens au monde. Il permet au lecteur de ne plus regarder les cases, mais de vivre dedans. Il utilise simultanément le design, comme incarnation du futur, de l’art en devenir, et de la société de consommation. L’anti-atome, Franquin à l’épreuve de la vie nous le fait redécouvrir sous un nouveau jour, et valorise l’œuvre au-delà de son essence originelle.