Cassandro, the Exotico ! : paillettes et stigmates
Présenté le vendredi 11 mai à l'ACID. Sortie : 5 décembre 2018. Durée : 1h13.
Il y a tout juste trente ans, un jeune mec nommé Saul Armendáriz décida qu’il allait se mettre au catch — ou plutôt à la lucha libre, comme on dit au Mexique. Le spectacle sur le ring, la frénésie du public, ces corps d’hommes qui le faisaient frissonner : autant de raisons qui expliquent son attirance pour cette discipline peu orthodoxe. Rapidement rebaptisé Cassandro, le jeune homme passa les trois décennies suivantes à se consacrer à ce qui ressemble autant à un sport qu’à un art. Aujourd’hui âgé de 47 ans, il se raconte devant la caméra de Marie Losier, cinéaste française à qui on doit notamment le docu The Ballad of Genesis and Lady Jaye, sur un artiste contemporain qui décidait de subir de multiples opérations chirurgicales afin de devenir le sosie de sa propre épouse.
Les deux films sont très semblables dans leur façon d’explorer l’intimité de ce que d’aucuns pourraient considérer à tort comme des bêtes de foire. Ouvertement gay (il revendique son statut d’exotico, c’est-à-dire de membre de la population queer du monde de la lucha libre), Cassandro est exubérant. Et s’il est passé maintes et maintes fois sur le billard, ce n’est pas pour de la chirurgie esthétique, mais pour se faire reconstruire par des chirurgiens-mécanos. Cassandro est cassé de partout. Il exhibe fièrement ses blessures, ses stigmates, raconte ses blessures les plus singulières, ses fractures les plus fréquentes. Il en est fier et il en souffre. Physiquement, mentalement. Le catcheur se sait près de la porte de sortie, risquant à tout moment de livrer le combat de trop, celui qui le briser définitivement en deux.
Filmant en 16 millimètres, caméra au poing, Marie Losier compose un portrait d’abord pittoresque (Cassandro est une bête de scène) puis de plus en plus touchant. Le lent glissement de ton du film est l’une de ses principales qualités, façon idéale de montrer à quel point notre héros tente de préserver les apparences jusqu’à ne plus en être capable. La comparaison avec The Wrestler d’Aronofsky peut sembler facile mais elle est pourtant judicieuse : être à la fois un sportif et un showman, c’est deux fois plus de raisons de se faire (du) mal et de terminer dans l’oubli et la solitude.
Battant, toujours en mouvement, Cassandro est un modèle, mais un modèle instable. Il a beau exhiber avec une immense fierté les médailles qui symbolisent ses douze ans de sobriété, l’ex alcoolique et toxicomane sait parfaitement que l’imminence de sa fin de carrière pourrait le faire replonger. En attendant, il repousse l’échéance. Soigne ses costumes, sa mise en plis. Continue de sculpter son corps pour que le gras ne l’atteigne pas. Déchirant portrait que celui de ce roi de la lucha libre, premier champion du monde exotico de l’histoire, qui continue de sourire de toutes ses dents tant qu’il n’est pas encore tombé dans le ravin.
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