Les Filles du soleil : guerre et inconséquence
Présenté samedi 12 mai en sélection officielle (compétition). Sortie : 21 novembre 2018. Durée : 1h55.
Le soleil protège celles qui se battent pour la liberté. Fidèles à cette croyance, les combattantes yézidies, communauté kurdophone d’Irak persécutée depuis des siècles, se désignent comme les « Filles du soleil ». Enlevées, violées et vendues comme esclaves sexuelles, ces affranchies ont constitué en 2014 un bataillon de femmes qui a pris une part active de la guerre entre les kurdes d’Irak et l’État islamique. Elles sont les héroïnes du second long métrage d’Éva Husson, réalisatrice de Bang Gang en 2015. Mais le film, seulement “inspiré” de ces événements, ne nous éclaire pas sur la complexité d’un conflit interminable dont on ne mesure les enjeux que de très loin. La région où se déroule le conflit est suggérée, les ennemis sont désignés comme « les extrémistes », au spectateur de tenter de rassembler les pièces du puzzle de ce film raté.
On ne saurait évidemment blâmer la réalisatrice d’avoir voulu raconter l’histoire de ces femmes hors normes dont le courage fascine et force un sentiment plus puissant encore que le respect. Le film suit la trajectoire de l’une d’elles, Bahar, interprétée par l’actrice franco-iranienne Golshifteh Farahani, dont le mari a été assassiné et le petit garçon enlevé par l’EI. Enlevée, séquestrée et violée, elle réussit à s’échapper et s’engage avec d’autres femmes pour prendre les armes. Son histoire, parcellaire, est montrée au gré de flashbacks censés éclairer son parcours. A ses côtés, Mathilde, une photo reporter française jouée (pas très bien) par Emmanuelle Bercot. Détruite elle aussi par la guerre, elle a perdu un œil à Homs et l’homme qu’elle aime en Libye. Sa présence n’apporte pas grand chose au récit, et le parallèle entre les trajectoires de ces deux femmes est plus un prétexte à émouvoir qu’un élément de l’histoire.
Les dialogues entre les deux femmes sont pompeux et simplistes, faits de tirades définitives sur la vie, la liberté et la vérité. Le film pose pourtant malgré lui une question cruciale : la guerre peut-elle être belle ? En livrant un film à la fois démonstratif et esthétisant, à la limite de la surenchère, Eva Husson répond par l’affirmative. Tourné en Géorgie, le film ne lésine ni sur les plans de soleil couchant ni sur les gros plans du visage magnifique de Golshifteh Farahani ravagé par la douleur et les larmes. Un sujet si fort avait-il vraiment besoin de ça ?
Les Filles du soleil en fait à la fois trop, notamment avec une musique omniprésente, et pas assez sur les questions de fond. Pourquoi se battent-elles, quel est la racine de leur engagement, que veulent-elles construire ? Paradoxalement, le film balise le chemin vers l’émotion à l’aide d’effets grandiloquents qui ne servent ni le propos ni les comédiennes. On aurait aimé voir approfondies les relations avec les combattants hommes, entre respect profond et méfiance, mais aussi et surtout la trajectoire de ces femmes. Pourquoi et comment ont-elles pris les armes ? Ici, la seule motivation exprimée par Bahar est celle de retrouver son fils. À l’inverse, Mathilde couvre cette guerre pour ne pas retrouver sa fille. Et si ces deux femmes prenaient aussi du plaisir à faire la guerre ? Ou une réalité aussi dérangeante est-elle l’apanage des hommes ? Dommage pour un film qui se dit ouvertement féministe de réduire l’engagement politique et militaire d’une femme à sa seule maternité.
Le film est pourtant traversé par quelques instants de grâce : la naissance d’une petite-fille par delà les lignes ennemies, une scène de fuite digne d’un thriller, ou le parcours du commando dans un tunnel miné. L’intensité affleure mais elle est trop rare. Reste un film ambitieux mais bancal auquel il est finalement difficile de pardonner son inconséquence.
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