God of War, septième épisode de la saga du même nom – en prenant en compte la trilogie originelle, les deux jeux sur PSP plus tard remasterisés et le prequel God of War : Ascension – n’est ni la continuité directe de la série, ni le reboot que l’on a à un moment imaginé. Alors que Star Wars 7 : Le Réveil de la Force de J. J. Abrams s’efforçait d’être les deux, le nouveau jeu de Cory Barlog refuse ces deux possibilités pour devenir autre chose : une forme de rupture dans un tout d’une cohérence presque inédite dans le jeu vidéo.
Cette rupture ne se situe pas au niveau du game play. Certes le game play change radicalement, optant pour une approche fondée sur une caméra livre, plus proche de celle d’un The Last of Us ou d’un Uncharted, tout en accentuant le côté RPG, mais cela révèle simultanément d’une évolution technologique et de choix de réalisation. Prétendre que le game play constitue ici une rupture reviendrait à dire que Star Wars 1 : La Menace fantôme s’éloigne totalement de Star Wars 6 : Le Retour du Jedi du simple fait de son recours aux effets spéciaux et à de nouvelles techniques de réalisation. La vraie rupture est ici narrative : après six épisodes passés au côté d’un Kratos rongé par la violence et habité par la haine, le personnage principal s’est transformé en un guerrier ne rêvant que d’une chose : vivre au calme avec sa famille, le plus loin possible des dieux grecs dont il s’est éloigné à tout jamais en s’installant dans le Nord, troquant Zeus, Poséidon, Hadès et les Érinyes pour Odin, Thor, Baldur et le Serpent Monde.
Lorsque le jeu commence Faye, sa femme, vient de mourir, et lui et son fis Atreus partent pour le plus haut sommet de Midgard afin d’y déposer les cendres de la défunte, conformément à ses dernières volontés. Le désir de vengeance – contre Ares, contre Zeus, contre les dieux en général – ne guide plus le récit. Néanmoins Kratos va peu à peu se retrouver à nouveau exposer. À la manière de Tom Stall (Viggo Mortense) dans A History of Violence de David Cronenberg (2005), il va être contraint de dévoiler à ses proches – à son fils ici en l’occurrence – qui il est vraiment : un homme devenu un dieu qui a fini par tuer son père.
Cette rupture narrative reste néanmoins parfaitement cohérente : ce changement de ton, comme de lieu, constitue une voie logique pour Kratos, celle de l’exil et de l’apaisement. Tout autre choix aurait été décevant ou illogique. Cet « apaisement », c’est aussi celui des créateurs. Chaque fois que Kratos condamne la violence et l’homme qu’il était, on croit y lire le positionnement de Cory Barlog. Après six épisodes noyés dans une violence extrême et souvent gratuite, tout semble souligner une forme de mea-culpa : God of War regarde ses prédécesseurs sans complaisance. Sans jamais diminuer le niveau de violence, celle-ci se veut désormais plus morale, plus nécessaire. Il n’est pas anodin que ce nouvel opus en finisse complètement avec la misogynie et les passages où Kratos pouvait gagner des orbes rouges en faisant jouir des femmes lascives, dont le seul but dans l’existence semblait de s’offrir au héros. Qui plus est, outre l’approche méta du jeu, God of War est également pétri de l’approche de la paternité de Cory Barlog, les relations entre Kratos et Atreus s’inspirant directement de sa vie personnelle (lire à ce sujet l’excellente interview de Barlog chez Carbone).
Cette « rupture logique » permet au jeu de réussir là où tant d’autres échouent : il se réinvente sans jamais s’éloigner de sa narration globale. God of War n’a pas besoin de jouer la carte de la nostalgie et du fan service, car il est encore en train de vivre son heure de gloire. Les moments qui font le pont avec les précédents épisodes n’en sont que plus intenses, tant ils ne semblent jamais forcés. Voir Kratos, renouer contraint et forcé avec son passé, est à la fois jouissif et culpabilisant – là aussi il y a un côté méta où on ne sait plus si c’est le récit ou le jouer qui pousse Kratos à renouer avec son ancien moi.
Avec sept opus et un nouveau cycle qui s’annonce incroyablement excitant, God of War est définitivement en train de devenir l’une des sagas les plus stimulantes du moment. De ses cliffhangers à sa toile narrative globale, de sa réécriture des mythologies à son approche esthétique, rien ne semble pouvoir arrêter Kratos.