01. Stevie Wonder – « Evil » (Erwan)
Extrait de Music of My Mind – 1972 – Soul pure
Beaucoup a été dit et écrit sur la superbe sitcom Atlanta de Donald Glover, et en particulier sur son incroyable épisode Teddy Perkins (S02E06). En plus de ses qualités propres, cet épisode m’a énormément marqué par son utilisation de deux chansons tirées de l’album Music of My Mind, de Stevie Wonder, Sweet Little Girl en ouverture et Evil en baisser de rideau. Ce dernier morceau tranche avec le reste du disque, lumineux et enthousiasmant. Dans cette chanson dépouillée à l’extrême Stevie Wonder s’adresse frontalement à cet « Evil », le mal qui menace d’emporter l’amour et le bonheur habitant les huit premiers morceaux de l’album. « Your way is not the way to make life what it should be » : le face-à-face est déchirant, la supplique est bouleversante. Difficile d’imaginer meilleure chanson pour clore toute tragédie humaine de la trempe de celle narrée dans Teddy Perkins.
02. Low – « Disarray » (Guillaume Augias)
Extrait de Double Negative – 2018 – gone slowing
Parmi les plaisirs certes futiles mais absolument pas coupables, celui consistant à découvrir à l’occasion de son douzième album un groupe de slowcore américain — en l’espèce Low — figure en bonne place. L’inverse du désarroi du titre ici choisi, en somme, au risque assumé du contresens. La légère distorsion qui nous accompagne tout au long de l’écoute et qu’on aurait envie de comparer d’un casque à l’autre, voire à notre propre pouls, pourquoi pas, cette saturation est comme annulée par une voix de tête obsédante. Tout ce que je ne vois pas n’existe pas. Sauf Low.
03. Minimal Compact – « Immigrant song » (Arbobo)
Extrait de The figure one cuts – 1987– new wave
C’était une période bizarre, les années 80, où à peu près tout était possible, ou du moins imaginable. Par exemple, qu’un des groupes les plus originaux de la scène new wave soit israélien, signé sur le plus barré des labels belges (Crammed), et fasse un triomphe aux Transmusicales de Rennes, y laissant un souvenir durable. Reprendre ce titre là, et pas un autre, de Led Zeppelin, pour en faire une version bien à eux, est un sacré symbole.
04. Lana Del Rey – « Mariners Apartment Complex » (Thomas Messias)
Single – 2018 – Born to die
C’est l’automne, il fait déjà un froid de canard, et je n’ai même pas de cheminée. Mais la voix de Lana Del Rey a ce pouvoir assez inexplicable de parvenir à me réchauffer. Son dernier single pourrait ne pas sembler renversant, mais il y a pourtant toujours quelque chose chez la new-yorkaise qui me la rend émotionnellement attirante, comme un aimant. « Mariners Apartment Complex » m’accompagnera pendant un certain temps, c’est un fait. Le temps d’un automne, d’une année ou d’une vie.
05. 1st Down – « A Day Wit The Homiez » (Nathan)
Extrait de A Day Wit The Homiez – 1995 – & Chill
Au plus profond de ma collection de musique, j’ai retrouvé ce truc, un des premiers beats de Jay Dee aka J Dilla. Sample de “Take Me To the Mardi Gras”, la fougue des années 90, et ces deux lignes à appliquer chaque jour dans ta vie:
You know I’m never feeling lonely
‘Cause I be cool and be foolin’ wit my homiez
06. Miles Kane – «Loaded » (Isabelle Chelley)
Coup De Grace – 2018 – Rock réminiscent
C’est le morceau qu’on entend une, deux, trois fois à la radio et qu’on finit par shazamer, histoire de mettre enfin un titre dessus… A la première écoute, on pourrait croire à un inédit de T-Rex, ou à l’œuvre d’un bon groupe de clones. Puis on reconnaît la voix de Miles Kane, nettement plus économe du vibrato que sur Colour Of The Trap, son premier album solo. Ecrit avec Lana Del Rey, ce single est parfait avec son groove facile, ses paroles truffées d’associations bizarres, sa mélodie entêtante et ses faux airs de vieille poule glam. Je n’en demande pas plus pour danser cet automne.
07. Kery James feat. Kalash Criminal – « PDM » (Alexandre Mathis)
Single – 2018 – Rap vénère
Aux conneries grossières de Trump, la meilleure réponse reste encore les aphorismes fins de Kery James. Le rappeur, toujours autant en colère, n’a pas supporté que le dirigeant étasunien qualifie Haïti, son pays d’origine, de « pays de merde ». S’il n’est pas le rappeur aux punchlines les plus fines (« tu t’es trumpé », on a vu mieux), Kery James est sans doute celui à la colère la mieux exprimée, rappelant dans son texte toutes les horreurs ce pays si jeune que sont les Etats-Unis. Sa rage est intacte, son cri anti-Trump prenant.
08. Laurel Halo – « Mercury » (Benjamin Fogel)
Extrait de Raw Silk Uncut Wood – 2018 – électro.
Chaque fois que je crois comprendre le mystère Laurel Halo, un nouvel album ou un nouvel EP vient modifier mes perceptions. Raw Silk Uncut Wood, son nouveau disque n’échappe pas à la règle. Jazz décharné ou classique expérimental, le tout avec une approche toujours résolument électronique, on ne sait sur quel pied danser. Jamais les expérimentations de Laurel Halo n’ont été aussi ennuyeuses pour se révéler si passionnantes au fil des écoutes. A la lisère de l’art-contemporain, tout en conservant le charme de ses débuts, elle plus désarçonnante que jamais.
09. Cat Power (feat. Lana Del Rey) – « Woman » (Thierry Chatain)
Extrait de Wanderer – 2018 – soul blanche feutrée
Il y en a pour regretter le temps où Chan Marshall (Cat Power, si vous voulez) était comme une funambule au bord du gouffre, tombant de son fil – sur scène – plus souvent qu’à son tour. Pas moi. Avec le temps, elle a gagné en confiance, en maturité, et tant pis pour les voyeurs. Ce premier extrait d’un album à venir s’impose comme une évidence, limpide, et joue à merveille sur la complémentarité entre la voix de Chan, qui a acquis un voile troublant, et celle en contrepoint de Lana Del Rey, discrète mais parfaite. Le propos est à l’affirmation d’une force tranquille, d’une solidité qu’on ne lui a pas toujours connue. Comme, tiens donc, celui de la décidément inévitable, en ce début d’automne, Ms. Del Rey, dans son récent (et tout aussi séduisant) « Mariners Apartment Complex », dont on parle ailleurs.
10. Devotchka – « Lose You in the Crowd » (Marc Mineur)
This night Falls Forever – 2018 – Rock indé à l’ancienne
Dans le jeu des familles, il n’est sans doute pas compliqué de trouver celle du groupe de Denver. Un peu de Calexico, de Beirut, d’Arcade Fire et ils savent avec qui passer Thanksgiving. Ils ont fait partie de la même vague, celle ou un peu de musique indépendante est devenue mainstream. Ca arrive de temps en temps, la new beat et le grunge ont connu le même sort. Une fois la mode passée cependant, les groupes ont repris leur route, en sont sortis pour viser les stades, ont continué avec un peu moins de bonheur. Pas de ça ici, c’est un peu la même chaleur qui est dispensée et on attend d’eux le morceau qui magnifiera leur dernier album. Sur leur fort recommandable This Night Falls Forever, c’est « Lose You in the Crowd » qui s’y colle et on écoutera encore et encore ces vagues qui nous font du bien à l’âme.
11. Klaus Weiss – « Survivor » (Christophe Gauthier)
Extrait de Time Signals – 1978 – musique au mètre
Library music. En français, musique au mètre. Derrière cette appellation vague, d’innombrables compositions utilisées pour illustrer des films fauchés, des publicités, des génériques d’émissions de radio ou de télé. C’est généralement l’œuvre de musiciens obscurs, parfois promis à une belle carrière (l’album Deserted Palace de Jean Michel Jarre, paru en 1973, en est un exemple fameux), ou d’artistes ayant déjà connu une première vie musicale, comme le batteur de jazz allemand Klaus Weiss. Son lent et inquiétant « Survivor », datant de 1978, montre que les morceaux de musique au mètre sont loin d’être des œuvres au rabais ; c’est d’ailleurs le premier titre utilisé pour promouvoir la sortie en novembre prochain d’une compilation baptisée Unusual Sounds, anthologie de la library music en 20 morceaux variés, compagnon d’un livre du même nom paru au mois de mars. Nos oreilles intriguées sont prêtes.