RBG : suprême
Un film de Betsy West et Julie Cohen. Sortie : 10 octobre 2018. Durée : 1h38.
À l’heure où un agresseur sexuel vient d’être nommé malgré tout à la Cour suprême et a reçu dans la foulée les excuses du président Donald Trump pour tous les soucis causés par les vilaines féministes, il est bon de se rappeler que tout n’est peut-être pas complètement perdu, qu’il existe encore des personnes capables de faire avancer ce monde dans le bon sens, ou en tout cas d’enrayer sa ruée vers l’idiocratie. Toujours en place à la Cour suprême, où elle fut nommée par Bill Clinton, Ruth Bader Ginsburg continue à se battre contre la bêtise ambiante et à tenter d’offrir plus d’égalité à celles et ceux qui devraient en bénéficier de façon naturelle.
À 85 ans, celle qui fut surnommée Notorious R.B.G. sur le tard est devenue un véritable modèle pour toute une génération de féministes qui considèrent que le combat contre le patriarcat et pour les droits des femmes doit se pratiquer à chaque instant, dans les gestes de la vie quotidienne comme dans les plus hautes instances de chaque pays. Superbement conçu, le documentaire coréalisé par Julie Cohen et Betsy West retrace les grandes heures du parcours sensationnel de celle qui, dès le plus jeune âge, se distingua par une personnalité hors normes et une volonté de fer. Entrée à l’Ecole de droit de Harvard en 1956, Ruth Bader Ginsburg faisait partie des 9 femmes de la promotion, qui comptait plus de 500 hommes. Terminant dans le top 20 des étudiants et étudiantes, elle ne cessa de marquer sa supériorité par rapport à de nombreux congénères masculins, faisant à la fois preuve d’un talent singulier et d’une aptitude à enchaîner les heures de travail sans sourciller.
Le film est ponctué de résumés de certaines affaires qui permirent à Ruth Bader Ginsburg de faire avancer la cause des femmes (et donc celle des hommes), certains cas ayant fait jurisprudence par la suite. D’entrée, RBG rappelle à quel point le déséquilibre est partout, y compris dans les textes de loi les plus anodins. En témoigne l’histoire de ce père de famille rapidement devenu veuf, qui découvrit qu’il n’avait pas droit aux mêmes aides financières qu’une femme vivant une situation similaire. Ce fut l’un des premiers combats de Ruth Bader Ginsburg, et certainement pas le dernier.
Parallèlement, les réalisatrices n’hésitent pas à évoquer la vie privée de la juge, mère de deux enfants et épouse de Martin D. Ginsburg, brillant avocat d’affaires qui n’hésita pourtant pas à laisser sa carrière au second plan afin de laisser sa femme travailler autant qu’elle le désirait, multipliant ainsi les avancées. Les blagues sur les piètres talents de cuisinière de RBG sont légion, ainsi que les remarques sur son relatif manque de tendresse vis-à-vis de ses enfants. Ruth Bader Ginsburg n’était pas une maman gâteau, et alors ? Son regretté mari s’en est chargé avec amour et pugnacité. RBG offre un bel exemple de famille féministe, où les rôles peuvent être inversés par rapport à ceux traditionnellement offerts à chacun et chacune sans qu’il y ait besoin de psychanalyser l’homme ou d’accuser la femme de négligence à l’égard de son foyer.
Exigeante, froide, Ruth Bader Ginsburg est aussi capable de beaucoup d’humour, y compris sur sa propre personnalité, ce qui la rend finalement plus attachante que prévu. Aimable, admirable, elle se révèle pleine de surprises, comme lorsque le film insiste sur son amitié avec le juge Antonin Scalia, Républicain dont les opinions étaient souvent aux antipodes des siennes, mais avec lequel elle entretint pourtant une relation complice et rigolarde jusqu’à la mort de ce dernier en 2016. Plein de belles choses, RBG va bien au-delà de la simple hagiographie : c’est un document passionnant qui s’offre le luxe d’être cohérent dans son propos comme dans sa fabrication, l’équipe du film étant composée de femmes à plus de 90%. C’est toujours ça que Trump et Kavanaugh n’auront pas.