01. Sefyu – « Mal(à)laise » (Guillaume Augias)
Extrait de Yusef – 2019 – Glock gimmick
Revoici donc Sefyu, huit ans après. Autant dire qu’on le pensait mort pour le rap. Mais non, sa casquette le dissimule toujours, son phrasé rocailleux est plus reconnaissable que jamais (désormais on dit signature, ce qui montre que Sefyu n’a pas raté grand-chose). Les titres de ses trois précédents albums s’articulaient autour de la figure honnie du Caïn de la Genèse — Qui suis-je ?, Suis-je le gardien de mon frère ?, Oui je le suis —, mais l’impact allait s’amenuisant. Alors il décide de faire table rase, sans vendre son âme mais en se montrant encore plus direct dans les intentions. Cela donne ici « L’odeur de la pisse nous a donné soif » et ailleurs dans l’album « La jeunesse éteint le feu avec de l’essence ». Le mérite de la clarté.
02. Hyacinthe – « Les garçons et les filles » (Benjamin Fogel)
Extrait de Rave – 2019 – Rap français
Trois années à y croire, à se dire que Hyacinthe deviendra une super star du rap français, et puis Sarah (2017), un premier album puissant et sensible avec des titres, comme « Sur ma vie », capable de faire pleurer des larmes de sang, perdu la nuit sur le dancefloor. Un succès d’estime certain, mais encore des choses à prouver. Deux ans plus tard, Hyacinthe revient avec Rave et là on se demande ce qui pourrait l’arrêter : des productions énormes ; des textes à fleur de peau, générationnels, à la fois fragiles et gorgés de confiance en soi ; une démarche esthétique moderne, ouverte sur le monde, LGBT friendly, et pourtant ancrée dans le rap game. Hyacinthe continue de n’avoir aucun équivalent en France.
03. Alexandra Stréliski – « Burnout Fugue » (Lucile Bellan)
Extrait de Inscape – 2018 – Fugue et fuite
C’est un peu romantique de ma part mais je crois que les plus belles histoires s’écrivent au hasard. Je me suis retrouvée salle Pleyel. J’avais été invitée à voir Coeur de Pirate par une amie. Et puis sur la scène, est arrivée Alexandra Stréliski. Elle a commencé à jouer du piano. Elle a commencé à raconter une histoire. Et en quelques morceaux, je ne savais plus si j’avais été emportée par son univers ou si elle avait mis des notes sur le mien. Sa « Burnout Fugue » m’accompagne depuis. Je ne sais toujours pas si c’est elle ou moi. Peut-être un peu des deux. Ce qu’elle a voulu raconter, je me le suis appropriée. Et depuis, sa fugue c’est ma fuite.
04. Karen O & Danger Mouse – « Ministry » (Erwan Desbois)
Extrait de Lux Prima – 2019 – Album solo à deux
La reformation des Yeah Yeah Yeahs (dont le dernier disque fête ses six ans cette année) prend de plus en plus des airs de chimère, malgré une – unique – apparition en festival l’an passé à Londres. Raison de plus pour savourer les projets solo de la chanteuse Karen O, qui valent le détour même sortis de ce contexte. Après un premier album en 2014 (Crush Songs), elle s’est associée au producteur génial Danger Mouse dont le son est toujours reconnaissable (il y a un net air de famille entre ce Lux Prima et le Love & Hate produit pour Michael Kiwanuka il y a deux ans) mais toujours aussi intense. Le morceau « Ministry » en est ici la plus belle démonstration, même si Lux Prima brille par sa grande qualité d’ensemble.
05. Orville Peck – « Big Sky » (Thierry Chatain)
Extrait de Pony – 2019 – Romance de cowboy
L’enfant qu’aurait fait Morrissey à Roy Orbison, avec Chris Isaak et Ricky Nelson pour tenir la chandelle ? Lana Del Rey en cowboy masqué camp ? Brokeback Mountain réalisé par David Lynch ? Les formules tombent toutes seules à l’écoute de cette bal(l)ade dans des grands espaces fantasmés, qui laisse autant de place au silence qu’à une guitare twangy à souhait et quelques notes de banjo. En invoquant les signes de la country poussés jusqu’au pastiche ainsi que ses mythes virils – particulièrement celui du cowboy, du titre de son premier album aux santiag exhibées -, Orville Peck impose un jeu sur le genre (gender comme musical) aussi troublant que réjouissant. D’autant qu’on peut aussi apprécier au premier degré, pour son simple talent, ce trublion queer qui revendique l’artifice pour mieux s’exposer. Coup de foudre !
06. Harry Nilsson – « Gotta Get Up» (Isabelle Chelley)
Extrait de Nilsson Schmilsson – 1971 –Earworm
Dans Russian Doll, série Netflix où Natasha Lyonne meurt en boucle, c’est cette chanson-là qu’on entend à chaque fois qu’elle ressuscite et revient à son point de départ, dans des toilettes, face à un miroir lors de sa soirée d’anniversaire. Avec son refrain obsédant, son attaque au piano lancinante, c’est l’earworm absolu, le morceau qui s’incruste dans la mémoire et résonne dans la tête dès qu’on se retrouve devant la glace, fin de soirée ou pas. Mais limiter “Gotta Get Up” aux premières mesures qui ponctuant ces fameuses scènes de Russian Doll serait criminel. La suite est encore plus réussie, avec ses arrangements qui partent dans tous les sens et ses paroles foutant le bourdon si on y prête l’oreille. “Il fut un temps où on pouvait danser jusqu’à dix heures moins le quart/On n’a jamais cru que ça s’arrêterait alors, on n’a jamais cru que ça s’arrêterait/On continuait, on buvait, on dansait le rock and roll/On n’a jamais cru qu’on vieillirait.” En quelques phrases, Nilsson me donne envie de m’injecter du Botox par tous les pores et de pleurer pour que reviennent un jour ces nuits qui n’en finissent pas.
07. Fontaines D.C – « Sha sha sha » (Arbobo)
Extrait de Dogrel– 2019 – Britpop
On les croirait anglais. Pauvres de nous, mais heureusement nous ne leur avons pas dit. Epelez avec nous: “I”, “R”, “I”, “S”, “H”. De la belle Dublin, sur l’île au large de l’autre île, ils ont capté tout ce qu’il fallait sur leur radio. Et des frères Gallagher, le chanteur Grian Chatten a chopé toute la morgue, et un surcroît d’élégance très “preppy”. Sur scène, tout prend instantanément, et la salle ondule au rythme frénétique de la main névrotique de Chatten, tandis que les 4 musiciens sont au cordeau.
Brit pop, here we come. Du Clash à the Rapture en passant par Art Brut, Echo & the bunnymen, et évidemment Oasis, il y a plus d’influences dans ce premier album que de lignes de paroles, ce n’est pas pas peu dire. A vrai dire on s’en fout. Ça prend ton cul, ta tête, tes bras, tes jambes. Et tant mieux, car vous aurez du mal à les éviter dans les festivals européens cette année.
08. Lucki Eck$ – « Count on Me » (Nathan)
Extrait de Alternative Trap – 2013 – Monologue
J’ai lu chez Passion of the Weiss un des articles les plus intéressants de cette année, à propos du récent Freewave 3, sur une question clé: comment apprécier une oeuvre aussi introspective et basée uniquement sur la douleur et l’addiction? Est-ce que dans un sens, notre voyeurisme et plaisir banal d’auditeur ne contribue pas à l’obscure réalité de Lucki, jeune rappeur de Chicago. L’article donne des pistes intéressantes. Et moi je contribue au malaise en écoutant en boucle ce titre de 2013, où sur un beat aphexien, Lucki raconte ses aventures de dealers. Il avait 17 ans à l’époque et c’est terrifiant.
09. Andrew Bird – « Bloodless » (Marc Mineur)
Extrait de My Finest Work Yet – 2019 – Folk à tiroirs
Et s’il avait fallu douze (fort bons) pour stabiliser sa formule? S’il n’apparaîtra pas immédiatement pour certains comme sa meilleure réalisation, il peut indiscutablement se présenter comme une brillante synthèse. On retrouve tout ce qu’on aime chez l’Américain. Un sens de l’humour vitriolé, un regard sur l’époque avec ce “Bloodless” (For now… précise-t-il), un son parfait et la franchise nécessaire pour oser la lumière et l’accessibilité. Le titre et la pochette n’étant que deux exemples d’une grande forme qui n’a même pas besoin d’être modeste.
10. Teki Latex & Lio – « Les Matins de Paris » (Thomas Messias)
Extrait de Party de Plaisir – 2007 – Cinq heures du mat
Je crois que je n’ai pas été assemblé dans l’ordre. À 8 ans, j’allais voir Michel Fugain à l’Olympia avec un bonheur non dissimulé. À 15 ans, je disais que le rap c’était de la merde parce que ce n’était pas de la musique. À 34 ans et demi, j’écoute des sucreries, des choses qui font danser, des récits de retour de soirée, comme s’il fallait combler des années passées à penser comme un vieillard. En plus, il y a dans « Les Matins de Paris » un fond de spleen qui me correspond parfaitement. J’en fais actuellement une consommation quotidienne.