Il y a une dizaine d’années, j’ai découvert les vidéos de feu de cheminée. C’était un peu une blague : on avait passé une soirée entre potes, somme tout normale, mais avec pendant des heures à côté de nous un énorme feu sur écran plat. Plus tard j’ai découvert l’étendue du phénomène « slow tv » : des trajets de train enneigés vécus en intégralité, des balades dans Tokyo ou en compagnie d’un aigle . J’ai trouvé ces vidéos assez fascinantes, sans pour autant les avoir beaucoup affrontées. Elles m’ont en tout cas durablement marqué, tout comme ces innombrables vidéos d’ASMR pullulant sur Youtube : des gens se filmant et s’enregistrant en train de faire tout et n’importe quoi dans le seul but de provoquer un frétillement sensoriel chez le spectateur.
Dans un cas comme dans l’autre, j’ai immédiatement fait des rapprochements avec des œuvres musicales que j’aimais. Les vidéos en plan fixe de plusieurs heures avec les longues fresques immobiles d’Éliane Radigue ou William Basinski ; les bande-sons utilitaires d’ASMR (qui ont été utilisées comme pub par Ikéa ou Buffalo Grill) avec le champ immense des musique expérimentales – où l’on cherche à revenir à l’expérience primaire du jeu, de l’écoute et de la réaction des corps.
C’est donc assez naturellement que j’ai voulu chercher à faire converger les deux mondes. Ce mix a la forme d’une bande-son de 10h dont le début et la fin sont arbitraires, qui peut se couper ou se reprendre à tout moment, s’écouter fort ou très doucement et « s’employer » dans des conditions diverses comme s’endormir, lire, travailler, faire du yoga, marcher… C’est un mix fonctionnel, qui ne raconte aucune « histoire », qui gomme les aspérités les plus marquées de chaque morceau (réduction des dynamiques, homogénéisation des fréquences) et ne cherche en réalité qu’à suggérer un climat général, tantôt parfaitement apaisé, tantôt légèrement nuageux, avec une légère tension qui stimule l’esprit.
La tracklist fait se rencontrer musiques exigeantes et utilitaires. On y trouve des compositeurs et compositrices ambient et expérimentaux, des groupes à guitares, des experts du field recording ou du paysage sonore et donc tout un tas de pistes moins nobles ou moins attendus : des « rips » Youtube, des méditations guidées, des bande-sons de films ou d’émissions radios, des edits et compos perso faits à l’arrache (Aya Nakamura, France 98…), des extraits de musique d’ambiance, de développement personnel, de spiritisme ou d’expériences scientifiques bien perchées.
Bref, c’est un collage tranquille de matériaux hétérogènes où les repères sont volontairement effacés. Certaines sections sont plus lisibles, d’autres superposent 3 ou 4 pistes en même temps. On ne sait pas toujours ce qu’on écoute et c’est bien le but : laisser le son errer dans un petit coin de sa tête et voir s’il se passe quelque chose.
Le mix peut s’écouter sur Youtube, format pour lequel il a été pensé, ou bien sur Soundcloud, où il est disponible en deux parties, avec la tracklist complète ici puis là.