Love Me Tender de Constance Debré : classe du transfuge
Paru le 8 janvier 2020 aux éditions Flammarion.
« Je ne drague pas, je ne drague jamais, je dis souvent non et parfois oui. Ça n’a pas grand chose à voir avec le sexe, encore moins avec l’amour. »
Nous sommes ici en pleine autofiction. On peut trouver à Constance Debré une ressemblance physique avec Christine Angot, et, même si ce n’est pas le cas, convenir que les deux autrices sont passées par les mêmes maisons d’édition (Stock, puis Flammarion). Cependant les similitudes s’arrêtent là, car leur parcours est inverse.
« Je prends le métro, je n’ai plus de batterie, dans ma tête, je refais la liste, j’actualise les chiffres, je classe mes maîtresses par âges, par métiers, par couleurs, par quartiers, je les replace sur la carte, je fais mon plan RATP des meufs. »
Deux ans après Play Boy qui se consacrait à la découverte de son homosexualité, Constance Debré franchit une étape supplémentaire. Pour se rendre disponible, afin de coucher avec des filles sans les aimer pour autant, elle plaque tout. Son travail d’avocate pénaliste, son appartement. Son fils alors la “plaque” aussi. « Un fils doit haïr sa mère », dit-elle. On pense aux parents – à tous les parents ? – qui veulent qu’il “n’arrive rien” à leur enfant et à la polysémie terrible de cette expression. Ce qui peut arriver aux enfants, c’est de se mettre en mouvement, de dépasser l’aînesse au risque sinon de “s’asseoir en silence pour toujours”, comme disait Coetzee recevant son prix Nobel.
« Ça claque l’inceste. Un vrai crime de mec. »
Où l’on recroise Angot, dans l’autre sens donc, alors que Debré quitte la robe de prétoire pour les habits de l’accusée.
« J’avais passé des années ici à défendre des violeurs, des voleurs, des braqueurs, des pédophiles, des escrocs, des assassins. Mais les affaires familiales je ne connaissais pas. Je ne prenais pas les divorces, je trouvais ça trop sale. »
Le métier juridique et le thème du déclassement évoquent soudain Le Pressentiment d’Emmanuel Bove.
« Si j’y pense, je ne sais pas ce que je pense. »
Paul – prénom du fils de Constance choisi par elle pour son caractère romantique – devient au plus profond de l’autofiction un véritable personnage de roman. Un pré-ado qui mène la danse.
« Parfois j’aime Montlouis pour sa laideur, parfois plus simplement je le déteste. »
Aucune plainte ne surgit, jamais, jusqu’à l’assèchement s’il le faut.
« Je le regarde passer, marcher dans le couloir, ça commence à se voir qu’il va mourir, je me demande quand, s’il vaut mieux que je lui parle ou s’il vaut mieux que je continue à faire comme s’il était déjà mort. »
Love Me Tender ne sera pas sa Lettre au père.
« Mon mètre soixante-dix-huit, mon cuir, mes tatouages, mon accent snob, mon menton haut, mes phrases glacées, je suis le baron de Charlus version Sid Vicious. »
Une nobliote punk pour qui il s’agit bientôt de rompre avec son fils, ou pas (en témoigne une touchante lettre, non postée).
« Qu’est-ce que tu proposes ? elles me demandent. Je ne propose rien. Parfois je les déteste. Parfois je me demande même pourquoi je couche avec elles. »
Le sexe comme poste d’observation.
« J’aime les premières fois parce qu’elles changent la vie sans changer la vie. Pour l’événement pur. Pour l’innocence. »
Son programme politique ne s’applique qu’à elle, mais il est de chaque instant.
« Elle n’a pas l’air d’être gênée par ma vie de gitan, elle ne s’étonne pas, ça n’a pas l’air de lui faire peur. Elle dit que c’est l’amour qui fait peur. »
Une vie en friche.
« Une famille où le geste est impossible. »
Qu’est-on libre de faire quand on défait les liens du sang ?