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Le Répondeur de Luc Blanvillain : ni voix ni maître

Paru le 2 janvier 2020 aux éditions Quidam.

Par Guillaume Augias, le 11-05-2020
Littérature et BD

Les imitateurs ont rarement les faveurs des gens de goût, même – et surtout — s’ils rencontrent un succès public. Contrefaire les voix, quel que soit le savoir-faire et l’esprit avec lequel cela est exécuté, se rapporte sans doute trop à une imposture. C’est pourquoi Le Répondeur, roman d’un Luc Blanvillain qui a surtout écrit pour la jeunesse, constitue une véritable gageure : il fait de son personnage principal, imitateur ignoré du plus grand nombre et féru de littérature, le véhicule d’un grand roman sur la condition de l’homme de lettres à travers ce qui constitue le fait social de l’écrivain.

La voix est la vocation de Baptiste. Ces deux mots sont de la même famille, et d’ailleurs sa mère croit en lui depuis toujours. Mais nous le trouvons pour commencer en pleine remise en question professionnelle. Face au public de plus en plus clairsemé d’un petit théâtre associatif, il songe à renoncer. Il ne voit pas bien comment empêcher cette décision quand il tombe nez à nez en coulisses avec Pierre Chozène, qui n’est autre que son écrivain préféré. Passée la stupeur, il comprend que le grand romancier a quelque chose à lui demander et se rend chez lui à son invitation, pour en savoir plus.

Afin d’être en mesure de disposer du temps et surtout de la concentration nécessaire à l’écriture son nouveau projet littéraire, un manuscrit autobiographique là où tous ses précédents étaient exclusivement de l’ordre de la fiction, Chozène propose à Baptiste de prendre en charge son téléphone portable et de répondre à l’ensemble des personnes qui l’appellent avec sa voix contrefaite. Un stratagème retors, mais qui est pour l’auteur la seule façon de s’en sortir et pour l’imitateur le rôle de sa vie, très bien payé qui plus est.

Dans un style vif et ambitieux, Luc Blanvillain réussit le tour de force de composer un roman haletant sur un motif presque métaphysique

Baptiste accepte le contrat et trouve après quelques tâtonnements la bonne tessiture d’organe, la bonne coloration pour parfaire le son de la voix de son idole. Il se lance alors, incrédule, dans une expérience insolite qui va vite s’avérer grisante. Car aucun de ses interlocuteurs ne débusque le subterfuge, et Baptiste se découvre bientôt une nouvelle personnalité, une extension de lui-même qui va nourrir une volonté de puissance au point d’infléchir le cours des événements. Excès de zèle ? Passage à l’acte ? Quoi qu’il en soit, le jeune imitateur a mis en marche une sorte de machine infernale, impossible à arrêter.

Sans trop révéler l’intrigue qui regorge de rebondissements, disons que les relations «clandestines» de Baptiste avec la fille de Chozène – une artiste peintre dont il tombe amoureux, avant d’en devenir le modèle –, son ex-femme, son amour impossible et surtout son taiseux de père vont prendre des tours plus qu’inattendus et lui faire appréhender l’existence sous un jour qu’il n’aurait jamais imaginé. Dans un style vif et ambitieux, Luc Blanvillain réussit le tour de force de composer un roman haletant sur un motif presque métaphysique, dans lequel les questionnements sur l’identité et sur la vertu se multiplient à chaque page.