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Ne m’oublie pas d’Alix Garin : la mémoire de la mer

Paru le 15 janvier 2021 aux éditions du Lombard.

Par Guillaume Augias, le 28-01-2021
Littérature et BD

C’est une double page au cœur du récit. Le trait se fait plus libre, coloré, continu et sans contrainte. C’est un moment d’abandon, de fusion des sens et du sens, le tournant d’une histoire qui est une route mouvementée. La vie de Clémence est en train de basculer, sans que ni elle ni celles et ceux qui la lisent n’en aient encore la certitude.

Mais tout s’évanouit, à commencer par les souvenirs, rien n’est certain dans ce premier ouvrage de la jeune Belge Alix Garin dont la ligne claire nous mène sur les traces de la mémoire. Alors qu’elle répète une scène en vue d’un examen d’entrée au conservatoire, Clémence est appelée par sa mère, médecin généraliste et ex-maman solo, pour qu’elles aillent à la maison de retraite de sa grand-mère d’où elle s’est une nouvelle fois évadée.

Le fossé va se creuser de plus belle entre Clémence, bouleversée par la détresse de sa Mamycha, et sa mère qui l’est sans doute autant mais tient le rôle de la raison et opte pour le moins de discussion possible, convaincue qu’il n’y a rien d’autre à faire que sermonner Marie-Louise, pensionnaire récalcitrante. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, cette dernière ne reconnaît pas toujours ses proches mais sait ressentir l’absurde d’une vie évidée.

Tout le talent d’Alix Garin consiste à déployer son dessin fluide, d’une ampleur profonde, pour ménager des moments suspendus d’où fuse l’émotion

Tout le talent d’Alix Garin consiste à déployer son dessin fluide, d’une ampleur profonde, pour ménager des moments suspendus d’où fuse l’émotion. Ainsi d’une bataille de fleurs initiée par Marie-Louise et dans laquelle se jette Clémence jusqu’à ce qu’elle y reconnaisse des myosotis, dont le surnom est « ne m’oublie pas ».

Sur un coup de tête, Clémence part donc en voiture avec sa grand-mère, poursuivant l’idée de lui faire revivre une part de son enfance. Littéralement, elle veut lui rendre la mémoire mais aussi bien c’est elle qui cherche à recomposer son histoire, affective et familiale. Alix Garin écrit et dessine sur le motif, comme celui d’une biche renversée avec son faon, ou encore celui d’une phrase comme « Embrasse la mer pour moi », évoquant le « Je ne suis pas sortie de ma nuit » qui donnait son titre au bref ouvrage qu’Annie Ernaux a consacré en 1997 à sa mère atteinte du même mal pernicieux.

Écrit en deux ans et, on le comprend, très personnel pour son autrice, cet opus est une entrée en majesté dans le neuvième art. Pétri d’émotion et séduit par l’unité du tout, on achève la lecture sous une pluie de sentiments concomitants, propice à la mise en perspective de nos priorités essentielles.