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Une Histoire orale d’Andrzej Zulawski de Matthieu Rostac et François Cau : le maître fou et les siens

Paru le 12 janvier aux éditions du Chat qui fume

Par Jean Thooris, le 15-02-2021
Cinéma et Séries

Avec les deux ouvrages analytiques que consacrait, en 2015 et 2019, Jérôme d’Estais au cinéaste de L’Amour braque (Sur le fil aux éditions LettMotif, puis Possession, tentatives d’exorcisme chez Rouge Profond), cette Histoire orale boucle intelligemment tout un corpus littéraire consacré à Andrzej Zulawski. D’autres livres suivront probablement, tant cette filmographie y gagne en interprétations et en faux-fuyants au cours de ses nombreuses visions… Mais déjà, en trois approches différentes, le zulawskien acharné détient de quoi nourrir le feu de sa passion.

L’ouvrage de Matthieu Rostac et François Cau cherche à sonder la véritable personnalité de Zulawski, à valider ou détruire certaines légendes entourant le metteur en scène, cela via le témoignage d’un nombre impressionnant de collaborateurs réguliers (Paulo Branco, Stéphan Krzesinski, Nicolas Boukhrief, Marie-Laure Reyre, Sophie Marceau, Jean-Vincent Puzos, impossible de tous les citer…) En ressort d’abord, sans surprise, l’image d’un Zulawski obsédé par l’outil-cinéma, capable d’inventer un travelling sur des roues de skate (pour Boris Godounov), instaurant un climat de tension à chaque tournage, mais, par son implication totale, réussissant à extirper le meilleur de chacun. Dominique Garnier (co-scénariste de La Femme publique), sur ce point, explique que deux Zulawski cohabitait : le compagnon d’écriture jamais avare en conseils et soutien, puis, au moment du tournage, un frénétique obsédé par le rythme de son film (« un rythme de dingue », précise-t-elle).

L’ouvrage de Matthieu Rostac et François Cau cherche à sonder la véritable personnalité de Zulawski

Cette possession, comprenons-nous, ne pouvait cependant fonctionner qu’à partir du moment où Zulawski, à chaque projet, se trouvait un ennemi ou se positionnait « contre » (en cela, une réplique du metteur en scène Lucas Kessling, dans La Femme publique, n’était guère anodine : « J’ai fait des films en Allemagne car c’était le seul endroit où je pouvais faire des films comme je veux, grosso modo des films contre »). L’ennemi, pour Zulawski, prenait souvent l’apparence du producteur (René Cleitman et Alain Sarde en bavèrent), mais aussi du système, de ce que ferait un autre metteur en scène (« il aime le conflit, d’une manière positive et négative », argumente Stéphan Krzesinski, fidèle d’Andrzej). Un état d’esprit querelleur pouvant conduire Zulawski, dans un climat harmonieux, jusqu’au sabordage de son film à quinze jours du tournage (nombreux projets abandonnés) ou bien à l’inachèvement volontaire (La Note bleue, dont manque la fin prévue par le scénario).

Une attitude qui, in fine, se retournera contre Zulawski : après le semi- échec public de L’Amour braque (le plus polonais de ses films français), la plupart des producteurs, excepté Marie-Laure Reyre et Paulo Branco, hésiteront à financer l’adrénaline zulawskienne. D’où, dans une Histoire orale, divers chapitres consacrés aux films inaboutis du cinéaste : Monsieur Venus d’après Rachilde (« une histoire complètement hallucinante d’une femme qui s’éprend d’un jeune homme et le transforme en femme », selon Dominique Garnier), Le Tigre (produit par la Cannon et avec Dolph Lundgren !), Celle qui danse (Jeanne d’Arc et Gilles de Rais selon Zulawski, scénarisé par Etienne Roda-Gil, avec Sophie Marceau en Jeanne), ou surtout le fameux Matière noire (polar métaphysique à tendance science-fiction, conçu avec les écrivains Laurent Bonzon et Denis Bretin, interprété par Marine Vacth, Laura Morante, Virginie Ledoyen, Huster, Karyo, Greggory, Recoing).

Le livre de Rostac et Cau se conclut inévitablement par l’œuvre testamentaire de Zulawski, Cosmos. C’est-à-dire par l’image d’un cinéaste tellement heureux d’enfin retourner derrière une caméra (après quinze longues années d’absence) que se ruant sur la proposition du producteur Paulo Branco (adapter Gombrowicz). Un Zulawski espiègle, apaisé peut-être, compagnon d’une troupe solidaire et enthousiaste (Azéma, Balmer, Jonathan Genet, Victória Guerra). Un Zulawski achevant son cinéma par le film d’un jeune homme toujours curieux d’expérimentations, mais dont la perfection technique ne visait dorénavant qu’à l’harmonie musicale, le chaos en fin de règne, la simple beauté de l’Art.

De La Troisième Partie de la nuit (1971) à Cosmos (2015), Une Histoire orale, parmi ses nombreuses intrigues, dépeint ainsi le portrait d’un cinéaste habité par une fièvre contestataire qui se modifiera, à partir du poignant La Fidélité, en un regard résigné, parfois humoristique sur la civilisation contemporaine (Cosmos, trente ans après L’Amour braque, renouait avec la verve comique d’Andrzej).

Le livre de Rostac et Cau, outre son achat individuel, se trouve également dans une splendide box collector Possession tirée à 1500 exemplaires (toujours chez Le Chat qui fume). Achat indispensable pour tous les admirateurs de Zulawski, et particulièrement de son chef-d’œuvre, puisque l’objet contient le film en UHD dans sa nouvelle restauration 4K, des bonus à profusion, la musique d’Andrzej Korzynski ainsi que le dossier de presse d’époque (qui cite Platon, Héraclite, René Girard ou L’Evangile selon Thomas).