Un conte parisien violent de Clément Milian : de crasse et de sang
Publié le 6 avril aux éditions L'Atalante, dans la collection Fusion
Paris, Stalingrad, l’été. La canicule s’abat sur la ville dans un monde qui se rapproche de l’apocalypse écologique. Dans ce quartier cohabitent deux populations que tout oppose et qui ne se fréquentent pas : les riches logés dans les appartements parisiens, au prix du mètre carré exorbitant, et des pauvres qui vivent aux bornes de la société. Seul moment où les deux mondes se rencontrent : quand les enfants jouent dans le parc en bas de chez eux.
Salomé, 14 ans, ère dans les rues avec son skateboard. Entre sa mère qui ne donne pas de nouvelles, son père flic qui ne met plus les pieds à la maison, et sa sœur, Rose, qui passe ses journées dans un squat punk avec son petit ami, la jeune fille est livrée à elle-même. Désœuvrée, elle essaye de récupérer les humains avant qu’ils sombrent de l’autre côté – celui des exclus de la société. Elle se lie d’amitié avec des SDF, traîne avec des dealers de drogues. Malgré son jeune âge, Salomé sait ce qu’elle veut : l’indépendance et la liberté. « Je serais la meuf de personne moi, [….] je serais la meuf de moi-même », affirme-t-elle.
Un conte parisien violent fonctionne comme une fable. Un parcours initiatique pour Salomé, un Alice au pays des merveilles version punks et clodos. Un roman sur la marge, des rebelles qui veulent changer le monde en clamant qu’il n’y a pas d’avenir possible, à celles et ceux qui, prisonniers de la rue, risquent à tout moment de basculer là il n’y plus de retour en arrière possible.
Les personnages n’ont pas de pseudonymes – à quoi bon chercher à cacher son identité quand tout le monde vous connaît dans la rue –, ils ont des surnoms ! Plusieurs surnoms. Voire des diminutifs de surnoms. Salomé est aussi Sal, Sally, mais surtout Chewing-gum, parce qu’elle est élastique et ne se fait jamais mal quand elle tombe de skate. Ici le surnom décrit strictement son porteur : Bouledogue, parce que le personnage est un chien méchant ; Sangsue, parce que c’est un parasite ; Milliard, parce qu’il répond « des milliards » à chaque question. Nommé et nomination se confondent – Rose est toujours vêtue de rose. Ce parti pris n’est pas neutre. Le livre lui-même ne porte pas un titre choc, mais la description exacte de ce qu’il est : « Un conte parisien violent. » Il n’y a pas de filtre, pas de descriptions qui ne correspondront pas au réel. Quand Clément Milian fait surgir le fantastique ou l’horreur, le monstre s’appelle naturellement le monstre.
Le roman se retrouve emporté par son propre quotidien. Clément Milian ne fait jamais son malin, ne joue pas avec le lecteur. Il se prend son roman dans la gueule, au même titre que lui. Comme pour ses deux précédents livres – Planète vide (Gallimard, 2016) et Le Triomphant (Equinox, 2019) –, il propose une narration rêche, débarrassée des détours et des rebondissements, pour ne conserver que la substantifique moelle. C’est puissant et ça sort le 6 avril chez L’Atalante, dans la collection Fusion.