Qui après nous vivrez de Hervé Le Corre : les mondes d’après
Publié le 10 janvier 2024 aux éditions Rivages
À l’aube des années 2050, la civilisation se fissure. Ça craque de partout : une nouvelle épidémie encore plus meurtrière que la précédente, des cyber-attaques mettant à mal la capacité de production énergétique du pays, des inégalités sociales insoutenables, des ressources qui manquent, des compétences qui se tarissent, l’appareil logistique qui se délite, et bientôt la loi martiale, le plein pouvoir aux policiers pour tenter de conserver le contrôle, alors que les coups de chaud et de matraque aggravent la situation, les forces de l’ordre transformées en faction ennemie des gangs, des activistes et des parents qui veulent récupérer un carton de rationnement pour nourrir leurs enfants. Pas de porte de sortie, pas de retour en arrière possible. Est-ce que les autres pays s’en tirent mieux ? Le monde entier a-t-il sombré ? Personne ne sait. Mais une chose est sûre : si des nations ont réussi à contenir le chaos, elles se sont désintéressées du sort de cette France désagrégée, et refusent de porter secours à ses habitants, soulignant entre les lignes la victoire du « sauve qui peut » et du « chacun pour soi » au niveau international.
C’est dans cette projection que Hervé Le Corre va suivre trois générations de duo mère/fille : Rebecca et Alice au moment de l’effondrement, Alice et Nour lors du glissement vers la dystopie, et enfin Nour et Clara, accompagnées cette fois d’un duo père/fils incarné par Marceau et Léo, dans un monde post-apocalyptique, où la France s’est métamorphosée en No man’s land hostile.
Embarquer dans un même mouvement, les trois genres du roman de l’après – effondrement, dystopie et post apo –, voilà l’ambition de Qui après nous vivrez. Les différentes périodes s’entremêlent et s’alternent, permettant aux lecteurs et lectrices de combler peu à peu les trous, la fin de chaque histoire revenant au début de la suivante. Par ailleurs, les passages les plus proches de nous sont écrits au présent, tandis que plus le récit se déroule dans le futur, plus il s’écrit au passé. Ce double procédé donne l’impression que rien ne s’arrête, que les personnages sont condamnés à une fuite en avant, prisonniers d’une boucle de violence infernale, où le futur tragique des uns est toujours le passé traumatique des autres.
Que transmet-on à nos enfants ? Comment conserver son humanité ? Par ses choix, ses réflexions, son rapport au corps et ses croyances, chaque génération évolue subtilement, sans perdre de vue l’amour des siens. Aux côtés des personnages, on espère leur survie, on se range derrière eux, sans contester leurs décisions et leur brutalité. Habilement Hervé le Corre nous confronte à la sauvagerie, au désir de vengeance, à la volonté de faire justice soi-même, et à la difficulté de refaire société une fois la ligne rouge franchie.
On pourrait en rester là et dire que par son propos, sa structure et sa lucidité, Qui après nous vivrez est un immense roman. Mais c’est encore autre chose. Car par-dessus tout ça vient se greffer un style puissant, qui ravage tout sur son passage. Si le rythme, la beauté, la précision et la créativité sont les 4 points cardinaux du style, alors Qui après nous vivrez est une flèche qui parcoure le monde à mille à l’heure, sans jamais perdre en limpidité. Après une carrière scindée entre romans noirs contemporains et fresques sombres historiques, Hervé Le Corre noircit le futur de la plus brillante des manières.