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Nos Armes de Marion Brunet : extension des domaines de l’injustice

Publié aux éditions Albin Michel, le 31 janvier 2024.

Par Benjamin Fogel, le 14-04-2024
Littérature et BD

Fin des années 1990, Mano, Axelle, Charly, Nacer, Jicé et Paola sont de jeunes adultes, étudiants, travailleurs précaires ou vivants en marge de la société, tous animés par la révolte et l’engagement. Militants altermondialistes, ils refusent l’injustice et l’inaction, et sont prêts à brûler leur jeunesse par les deux bouts pour tenter de changer le monde. Voler les puissants pour financer la lutte apparaît rapidement comme le seul horizon possible s’ils veulent faire bouger les choses. Une arme à feu entre en jeu. Un braquage s’organise. Et d’un coup, c’est la bascule. Le hold-up vire à la tragédie. Deux décès : un des membres du groupe et un policier ; deux arrestations, dont Axelle devenue en un instant « tueuse de flics ». Les illusions n’auront été que de courte durée. Le réel rattrape les personnages et les traîne dans la boue – mais sans pour autant détruire leurs convictions.

Nos Armes analyse sur deux niveaux différents l’injustice du monde

À partir de là, Nos Armes de Marion Brunet va suivre le destin d’Axelle et Mano, liées par un amour profond que les événements ont empêché de s’épanouir. Axelle, condamnée à 25 ans de réclusion criminelle, enfermée entre quatre murs, doit se battre pour ne pas baisser les bras, tandis que Mano, dévorée par l’absence d’Axelle, tente sans succès de trouver le chemin d’une existence normalisée. Libre ou prisonnière, ni l’une ni l’autre ne peut espérer la rédemption et l’apaisement.

Nos Armes analyse sur deux niveaux différents l’injustice du monde et l’impossibilité d’échapper à celle-ci. Au niveau macro, c’est la folie des hommes qui ronge le roman – les inégalités sociales, l’homophobie et le racisme, les répressions policières, les dégradations écologiques –, au niveau micro, ce sont les vies d’Axelle et de Mano, privées de secondes chances, les joies réduites à pas grand-chose, quels que soient leurs efforts pour s’en sortir, pour aller de l’avant, pour devenir meilleures.

Une maturité de style qui impressionne

Avec une maturité de style qui impressionne, Marion Brunet raconte en moins de 400 pages des existences entières, à saisir l’essence des regrets, de la culpabilité et de la frustration. La structure chronologique utilise intelligemment les bonds dans le passé ou dans le futur, et fait alterner les voix d’Axelle – longue lettre à destination de Mano – et de Mano – récit à la troisième personne. Grâce à elle, Marion Brunet matérialise son propos, arrivant d’un même geste à signifier l’écoulement du temps et à retenir celui-ci, à l’image de la vie de Mano qui file et de celle d’Axelle qui stagne.

Porté par une maîtrise totale de la narration et des personnages, Nos Armes ne tranche jamais entre l’intime et le politique. Il embarque les deux, rappelant sans cesse, avec beaucoup de justesse, combien ils sont imbriqués l’un dans l’autre.