Trystero de Laurent Queyssi : le maître et l’apprenti
Publié le 10 avril aux éditions Mnémos dans la collection MU.
Dans un futur indéterminé, où les guerres et l’instabilité du monde ont poussé la France vers le totalitarisme et ses incarnations – outils de contrôle et police secrète – Bruno Trivanen, un écrivain célèbre, se retrouve incarcéré en prison sans procès pour une durée incertaine. Seule explication possible à cette situation inique : le fait qu’il était trop subversif – un symbole tiré d’une BD qu’il a scénarisée étant notamment devenu l’emblème de la résistance. 5 ans plus tard, Thivanen quitte le quartier de haute sécurité où il était enfermé, pour rejoindre à Sainte-Narcisse une modeste maison, dégotée par son frère François, où il sera assigné à résidence. Reclus, il découvre que des livres signés de son nom continuent de sortir : non content de l’avoir fait disparaître, l’État modifie le sens de son œuvre en diffusant sans son accord des textes, composés par des IA ou des prête-plume, où trône en première page le nom de Bruno Trivanen. Sachant qu’on ne l’autoriserait pas à publier un nouveau livre, l’auteur écrit alors pour lui-même, non pas un journal intime, mais un guide pour transmettre son savoir et ses connaissances sur la conception d’un roman.
Sur la base de ce pitch, Laurent Queyssi réalise un mélange des genres inédit. Si on sait combien la SF peut intégrer en son sein d’autres catégories littéraires – du polar au fantastique, du roman psychologique ou politique –, la voici fusionnée avec un véritable manuel à l’attention des aspirants écrivains. Structuré comme tel, avec des chapitres sur le prérequis que représente la lecture, sur la génération des idées, sur le travail de recherche, sur l’importance de la routine ou encore sur la planification du récit opposée à une approche où l’auteur se laisse guider par ses personnages, Trystero se révèle comme un cours sur l’écriture et en même temps comme une mise en pratique immédiate de celui-ci. L’intrigue et le déroulé du livre illustrent eux-mêmes son propos. Par exemple, quand Bruno Trivanen évoque le recours au conflit pour dynamiser le roman se pose simultanément la question de celui qui l’a envoyé en prison, et donc d’un potentiel antagoniste.
Via un worldbuilding jamais explicatif, qui se vit à travers les yeux – ou plutôt les lentilles numériques – du narrateur, et parsemé de références à des artistes réels ou fictifs, Trystero évite tous les faux pas. Ce projet qui aurait pu être scolaire et didactique, produit l’effet inverse : le cours d’écriture est peu à peu dévoré par le récit. Ce qui devait illustrer un propos devient le propos. C’est brillant parce que c’est justement la force de la fiction : prendre une idée et créer une narration autour d’elle, au point que l’idée initiale devienne une composante et non plus l’ensemble.
Par-dessus ce double rôle du livre, un autre enjeu vient se greffer. Par le roman et par le manuel, Laurent Queyssi fait émerger une troisième voie, celle du livre de résistance, qui entre les lignes nous rappelle combien l’écriture et la transmission du savoir sont au cœur de la lutte contre les régimes totalitaires. Une belle réussite, engagée et nécessaire, publiée dans la collection Mu des éditions Mnémos. Indéniablement le premier livre que j’offrirai désormais à quelqu’un souhaitant se lancer dans l’écriture.